Politique .
Formé dans un contexte de crise, le gouvernement du premier
ministre Kamal Al-Ganzouri, sévèrement contesté, mise sur la
sécurité et l’économie pour gagner la confiance de la rue.
Deux
missions bien définies
Nommé
le 25 novembre dernier, le nouveau premier ministre Kamal
Al-Ganzouri a finalement prêté serment devant le chef du
Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) mercredi 7 décembre.
Ganzouri a avoué avoir eu beaucoup de difficultés pour
former son équipe. Celle-ci ne compte aucune figure des
jeunes formations issues de la révolution pour lesquelles ce
prochain cabinet ne sera qu’un prolongement de l’ancien
régime. Ganzouri ayant en effet servi sous le règne du
président Moubarak d’abord comme ministre puis comme chef de
gouvernement dans les années 1990.
D’ailleurs, beaucoup de protestataires sont en sit-in depuis
près de deux semaines devant les bâtiments du Conseil des
ministres, dans une tentative de l’empêcher d’accéder à son
bureau (voir encadré).
Face à
un déluge de critiques, Ganzouri essaye de se distinguer de
son prédécesseur Essam Charaf, jugé très faible vis-à-vis du
Conseil militaire. Il rassure avoir réussi à arracher aux
militaires de pleins pouvoirs présidentiels, et appelle tous
les courants et les partis politiques à « mettre en avant
l’intérêt public ». D’après Ganzouri, la situation actuelle
de l’Egypte ne satisfait personne et il faut désormais
serrer les rangs pour pouvoir surmonter les crises actuelles.
Mais,
l’annonce de la configuration de son nouveau cabinet —
notamment les titulaires des portefeuilles de l’Intérieur et
de l’Information — n’a pas tardé à raviver les critiques.
En tout,
Ganzouri a gardé 12 ministres ayant servi dans le cabinet
sortant de l’ex-premier ministre Essam Charaf. Parmi ceux
qui ont conservé leur poste figurent notamment Mohamad Kamel
Amr, ministre des Affaires étrangères, Fayza Aboul-Naga,
celle de la Coopération internationale, et Gouda
Abdel-Khaleq, celui de l’Approvisionnement.
Une
démarche fut néanmoins saluée, celle de la nouvelle
séparation du ministère des Assurances sociales de celui des
Finances qui avaient été fusionnés sous le gouvernement
d’Ahmad Nazif en 2004.
Des
rapports de l’Organisme central des comptes avaient dévoilé
que l’Etat a investi les fonds des assurances dans le
financement de certains projets, ce qui a soulevé de vives
inquiétudes de la part des retraités sur le sort de ces
sommes comptées en centaines de milliards de L.E. Cette
décision de séparer les deux ministères a été donc la
bienvenue pour une importante tranche sociale, même si un
nouveau ministère attendu, celui qui devra s’occuper de
l’indemnisation des familles des victimes et des blessés de
la révolution tombés en janvier et février derniers, n’a pas
encore vu le jour. Le nouveau premier ministre aurait
préféré utiliser les fonds nécessaires pour la création d’un
nouveau ministère pour « augmenter le plafond des indemnités
».
Le
ministère de l’Intérieur est passé au général Mohamad
Ibrahim Youssef, ancien directeur de sécurité du gouvernorat
de Guiza, et figure déjà ternie par la violente répression
en 2005 d’un sit-in organisé devant les bureaux de l’Agence
des Nations-Unies pour les réfugiés, et qui a fait 25 morts
parmi des réfugiés soudanais. En tant que responsable de la
sécurité de ce gouvernorat, Youssef a aussi été témoin de
nombreuses affaires de torture et de violations des droits
de l’homme, notamment celles du chauffeur de microbus Emad
Al-Kébir, filmé sodomisé dans un commissariat.
Beaucoup
estiment un tel profil trop entaché pour pouvoir redorer le
blason du ministère de l’Intérieur et assurer sa
restructuration idéologique et institutionnelle promise.
Le
nouveau ministre de l’Information, le général Ahmad Anis,
est lui aussi hanté par son histoire d’ancien président de
l’Union de la Radiotélévision égyptienne. Sa nomination a
été conçue comme une intention de la part des militaires de
garder leur emprise sur les médias. Déjà depuis leur
accession au pouvoir le 11 février, les militaires ont
interdit certaines chaînes satellites, convoqué et interrogé
un nombre de journalistes jugés trop critiques et émis des
avertissements à l’intention d’autres.
Bilal
Fadl, journaliste, rejette l’idée même de conserver le
ministère d’Information qui n’existe pas dans la plupart des
pays démocratiques. « De quelle révolution peut-on parler
alors que ceux qui tiennent les rênes du pays ne sont que
des élèves fidèles de l’ancien régime ? Non seulement ils
ont conservé ce ministère déplorable, mais aussi il ont
nommé à sa tête un disciple d’Anas Al-Fiqi, ministre de
l’Information des dernières années Moubarak », dénonce Fadl,
qui ne détecte aucune volonté de libérer les médias publics.
Cela
dit, certains observateurs estiment qu’en dehors des cercles
politisés, les citoyens s’intéressent peu aux noms des
ministres et de leurs antécédents. « Le simple citoyen est
maintenant plus concerné par son quotidien plus que par la
politique. Ce gouvernement est un gouvernement de transition
qui va essayer de trouver des solutions à la situation
économique, notamment en reconsidérant les offres de prêts
du FMI et de la Banque mondiale », estime Mohamad
Abdel-Alim, du parti du néo-Wafd.
« Il ne
faut pas s’attendre à ce que le gouvernement d’Al-Ganzouri
concrétise les objectifs de la révolution. Il lui suffira de
réussir à stopper la détérioration économique et à améliorer
la situation sécuritaire dans le pays pour se faire accepter
par la majorité des Egyptiens », ajoute-t-il.
Une
logique que rejette catégoriquement le politologue et ancien
député indépendant, Gamal Zahrane. Celui-ci ne croit pas que
les mouvements pro-démocrates puissent rester les bras
croisés face à un gouvernement qui ne vise qu’à liquider
leur révolution. « Est-ce seul Ganzouri est capable de
redresser l’économie et de rétablir la sécurité ? D’autres
comme ElBaradei par exemple y parviendraient », assure-t-il
en référence au prix Nobel de la paix. « Certes, il allait y
réussir, sauf que pour le Conseil militaire, ElBaradei
allait être un mauvais partenaire dans le complot de la
contre-révolution », conclut Zahrane.
May
Al-Maghrabi