Attentat .
C’est toute l’Egypte qui a été ciblée par l’attaque contre
l’église copte des Deux saints à Alexandrie, soulignent les
autorités, privilégiant la piste d’Al-Qaëda.
Mais nombreux sont ceux qui trouvent que le problème n’est
pas attaqué de front et est vu seulement sous l’angle
sécuritaire. Etat des lieux.
Le Nouvel An en deuil
Une
importante foule de chrétiens s’est rassemblée à
Abbassiya et dans l’enceinte de
la principale cathédrale copte. A l’intérieur, le cheikh
d’Al-Azhar, le mufti du pays et le ministre des
Waqfs sont reçus par le pape
Chénouda, dans la foulée de
l’attentat. Une tentative de réconcilier les esprits et
présenter les condoléances, mais en vain. Les coptes en
colère prennent pour cible la voiture de l’imam d’Al-Azhar
par des jets de pierre. A Alexandrie, et dans les alentours
de l’église des Deux saints, les coptes, rassemblés pour
témoigner de leur indignation, lancent des pierres contre le
cordon de sécurité les entourant.
« ô Moubarak, pilote, le cœur des
coptes est en feu », scandent les manifestants qui
descendent une des avenues principales de la capitale, Salah
Salem. Des voitures sont saccagées et des pierres lancées.
Tristesse, colère et accusation du gouvernement, la tension
est à son comble depuis l’attentat du Nouvel An, qui a fait
18 morts et 97 blessés, selon le dernier bilan officiel.
Et dans l’enquête sur l’attentat, 7 personnes sont détenues
pour interrogatoire. Les instructions se succèdent et « un
certain nombre » de suspects ont été brièvement interpellés
avant d’être, pour la plupart, remis en liberté. Les
autorités, qui évoquent à mot ouvert la présence d’«
éléments étrangers » comme commanditaires de l’attentat,
semblent privilégier la thèse d’un kamikaze.
Dans un premier temps, les sources policières parlaient
d’une voiture piégée. Une thèse immédiatement écartée, car
aucun trou qui serait provoqué par l’engin explosif n’a été
repéré par terre ou même dans le haut des voitures. Selon
une source policière, « toutes les voitures présentes sur le
lieu de l’attentat sont touchées uniquement de l’extérieur
». Les résultats de l’analyse ADN devraient donner davantage
d’éléments avec un « renforcement des mesures de sécurité à
la frontière, pour éviter la fuite de suspects potentiels ».
D’après la même source, l’état d’alerte a été mis au maximum
dans le pays depuis la menace d’Al-Qaëda.
Il y a environ 40 jours, l’« Etat islamique d’Iraq »,
branche iraqienne de la mouvance
de Bin Laden, a accusé les coptes de retenir, contre leur
gré, des femmes qui se sont converties à l’islam. Dans une
déclaration mise en ligne il y a deux semaines sur un site
Internet islamiste, les musulmans étaient invités à attaquer
des églises coptes d’Egypte « pendant les fêtes de Noël,
lorsque ces églises sont bondées ». Si le risque d’un
attentat existait donc, pourquoi
la police n’a-t-elle pas pris ses précautions ? « La
présence policière ne peut pas empêcher un kamikaze », se
justifie cependant la police.
La rue Khalil Hamada, dans le quartier de Sidi
Béchr à Alexandrie, s’est
transformée à présent en une caserne, une vingtaine de
blindés occupant les deux côtés de la rue. D’un côté s’élève
l’église des Deux saints, et devant elle se dresse la
mosquée d’Al-Madinah. Taches de
sang, pierres et vitres cassées témoignent bien de cet
incident qui a bouleversé le pays à la veille du Nouvel An.
Des témoignages
D’ailleurs,
Alexandrie, autrefois ville la plus cosmopolite d’Egypte,
est devenue depuis une dizaine d’années un bastion des
extrémistes, un fief des islamistes, ce qui augmente les
risques d’attentat. « Je suis sorti un peu avant la fin de
la messe, parce que je suis cardiaque et voulais éviter la
bousculade. J’attendais la sortie de mes filles lorsqu’une
voiture Skoda est venue se garer juste devant l’église et un
homme, dont je ne me rappelle pas les traits, est sorti en
parlant dans son mobile. Deux minutes après, l’explosion
s’est produite lorsque l’homme a levé sa main avec son
cellulaire », raconte Gamil
Khaïri, un des blessés dans
l’attentat.
« Je croyais que c’est notre immeuble qui s’effondrait »,
explique Roudess, une habitante
d’un bâtiment de 8 étages juste à côté de l’église,
construite vers la fin des années 1970.
Sameh Louca, son voisin,
met en cause le gouvernement : « Ce qui se passe a un grand
lien avec la crise économique ». Ainsi, selon lui, lorsque
les fanatiques tentent de recruter un jeune pauvre contre
une grande somme d’argent pour exécuter un attentat comme
celui-ci, il le fera volontiers.Mais
le gouverneur d’Alexandrie, Adel
Labib, qui s’est déplacé
immédiatement sur les lieux, estime, « en tant qu’ancien
agent de la sécurité, que l’attentat n’a pas de motif
sectaire ». Et donc de parler de la piste étrangère, celle
d’Al-Qaëda. « La méthode
utilisée est similaire aux attaques terroristes dans la
région », souligne-t-il.
La piste étrangère, privilégiée par l’Etat
C’est, de toute façon, le discours officiel qui a du mal à
faire publier des événements récents impliquant les coptes,
toutes les instances de l’Etat sont mobilisées pour parler
un seul discours, celui de l’unité nationale. Dans une
intervention télévisée, dimanche, le président égyptien
Hosni Moubarak a lancé un appel à l’unité nationale. « Toute
l’Egypte a été ciblée par l’attaque, a-t-il affirmé. Le
terrorisme aveugle ne fait pas de distinction entre
musulmans et chrétiens ». Il a aussi invité les citoyens
égyptiens à « ignorer les rumeurs et à faire preuve de
solidarité, afin d’empêcher les terroristes d’atteindre leur
principal objectif : la division du peuple ». Dans les
écoles, on donne des cours spécialement pour l’occasion. On
explique aux petits que c’est bien le terrorisme qui cible
le pays, « chrétiens et musulmans vivent côte à côte »,
disent les enseignants en classe le même jour. A la télé,
les émissions prennent pour slogan le croissant et la croix,
ce symbole d’unité religieuse qui date de la Révolution de
1919.
Attaquer le problème de front
Un appel à la prière est lancé. Egyptiens, musulmans et
coptes, sont ainsi invités à assister ensemble à la messe du
jeudi soir, la veille du Noël copte. Des mouvements
politiques prennent l’initiative d’organiser des
manifestations d’unité. Les membres des deux communautés se
rassemblent dans le quartier de Choubra,
un quartier à forte représentation copte. Ensemble, ils
scandent des slogans d’unité, mais aussi contre le régime.
Les opposants ne mâchent plus leurs mots. Ce sont cette
barrière politique et la situation économique dégradante qui
encouragent le fanatisme, dit-on (lire page 5).
Cette position exaspère de plus en plus de coptes qui
souhaitent voir le problème attaqué de front. Cette
communauté, qui représente environ 8 % de la population,
parle d’une sous-représentation
politique, d’un accès difficile aux postes-clès
et de restrictions pour la construction des églises. En
dehors de la communauté copte aussi, des appels à une
sérieuse analyse ont été lancés. Des appels à l’Etat pour
cesser de considérer l’affaire « comme un dossier
sécuritaire, sans faire attention à ses aspects politique,
social et culturel ». Les autorités redoutaient une
aggravation des tensions confessionnelles, et ainsi, la
police a fait preuve d’une retenue sans précédent face aux
manifestations de colère. Elles craignent un débordement ou
des provocations d’islamistes qui chercheraient à s’en
prendre aux manifestants chrétiens. Reste à savoir si l’Etat
va finalement envisager la question sous l’œil culturel,
social, économique et même politique pour franchir le
terrible goulet d’étranglement qui enserre la société
égyptienne depuis des décennies.
Chérine
Abdel-Azim (au Caire)
Samar Zarée (à Alexandrie)