Statut Familial.
Un guide complémentaire plus équitable est mis sur le tapis
par un réseau d’associations. Il s’agit d’une réflexion sur
le traitement de questions épineuses comme la polygamie et
le partage des biens entre les époux. De quoi soulever des
tempêtes.
Un guide qui fait perdre le nord à beaucoup
Une
initiative qui a été accueillie par les organisations de
défense des droits de la femme avec beaucoup d’enthousiasme.
« C’est un pas en avant pour réglementer la polygamie qui
représente un phénomène inspiré de la culture des pays du
Golfe et qui n’est pas adapté à la culture égyptienne,
surtout à la situation économique de la plupart des hommes.
Je crois qu’on a abusé du droit à la polygamie et le
résultat a été que beaucoup de femmes et d’enfants se sont
retrouvés abandonnés et sans ressources par un mari et un
père parti vivre avec sa nouvelle femme », déclare Nihad
Aboul-Qomsane, présidente du Centre égyptien du droit de la
femme. Pour elle, il ne s’agit pas de confisquer à l’homme
le droit à la polygamie, mais de réglementer cette pratique
surtout que la charia et le Coran ne l’autorisent que sous
conditions.
Ce guide est encore au stade de la préparation, mais ses
grandes lignes sont déjà élaborées. Il aborde dix problèmes,
à savoir les fiançailles, l’obéissance, la pension
alimentaire, la garde des enfants, la vision, le divorce, le
kholea, le mariage sans tuteur, la polygamie et les biens
communs. Les trois derniers, qui figurent parmi les plus
sensibles, ont provoqué un grand tollé. En ce qui concerne
la polygamie, le guide donne au juge le pouvoir d’autoriser
un mari à prendre une seconde épouse au vu des circonstances
et en fonction de ses moyens financiers afin d’assumer les
charges d’un second foyer. Autrement dit, le mari doit
justifier au tribunal la nécessité du mariage avec une
nouvelle femme (maladie incurable de l’épouse, stérilité,
etc.), disposer des ressources nécessaires pour venir aux
besoins de toutes les épouses et s’engager à traiter ces
dernières avec équité. La première épouse et la nouvelle
doivent être informées à l’avance de l’existence de l’une et
de l’autre et fournir leur consentement attesté par un juge.
La première femme peut demander le divorce si son mari
insiste à se remarier.
Bien que ce ne soit qu’une brochure comprenant des
propositions de solutions, ce guide soulève une vraie
tempête parmi les rigoristes et même parmi les citoyens.
« Ce projet est calqué sur le modèle tunisien. La relation
entre l’homme et la femme est réglementée par la charia.
Dieu a institué le régime de la polygamie pour les musulmans
en toute connaissance des faiblesses humaines. Il l’a
assorti de règles dont l’application relève de la conscience
et de la responsabilité de chaque individu. Ces règles
doivent être appliquées de la manière dont elles ont été
interprétées depuis les temps de la Révélation. Il
n’appartient donc à quiconque ni de remettre en cause les
prescriptions divines en ce domaine, sur n’importe quelle
base que ce soit, ni d’instituer des contrôles qui
rendraient la pratique de la polygamie plus difficile.
D’autant plus que la charia peut s’appliquer en tout temps,
en tout lieu et en toute circonstance », s’insurge la Dr
Malaka Deraz, prédicatrice religieuse.
Un discours qui trouve de larges échos dans la société. «
Comment peut-on interdire la polygamie alors que c’est un
droit accordé aux musulmans sans aucune restriction ? En
l’abolissant, la voie serait ouverte aux relations
illégitimes, car au lieu de se remarier, le mari va alors
tromper sa femme », lâche un homme, la rage au cœur. Une
opinion partagée par les hommes qui trouvent que cet article
est injuste à leur égard. « Il transforme la relation de
couple en un commerce. Les liens sacrés du mariage ne seront
donc plus basés sur les principes de l’amour et de la
miséricorde », avance-t-on. Pour d’autres, c’est un faux
problème puisque les jeunes n’ont même pas les moyens
d’épouser une seule femme. « C’est un problème inventé de
toutes pièces. Dans notre pays c’est presque un luxe pour un
jeune que de se marier. Comment pourra-t-il penser à prendre
une seconde ou troisième épouse ? », lance un jeune
abandonné par sa fiancée, faute de moyens, après 7 ans
d’attente.
Le réseau des associations féminines initiateur du guide a
été accusé de rédiger un projet de loi. C’est ce qu’il a
officiellement démenti lors d’une conférence de presse tenue
au syndicat des Journalistes. « Il ne s’agit ni d’un projet
de loi ni d’une décision judiciaire dont l’application
s’impose de manière impérative, mais d’un guide instructif
servant à élaborer un code de la famille complémentaire et
plus équitable. Son objectif est de présenter un point de
vue qui permet à toutes les parties intéressées de mieux
comprendre ce que la loi dit sur des questions d’actualité
en matière de relations conjugales, et ce afin de protéger
le statut de la famille et la dignité de la femme »,
explique Siham Ali, avocate et présidente du programme de
défense et d’appui dans l’Institution des droits de la
femme. Siham Ali, qui a participé à sa rédaction, trouve que
ce guide est d’une grande utilité car il vise à combler le
vide existant dans la loi concernant le statut personnel. «
Cette loi mise en vigueur a été amendée plusieurs fois pour
faciliter les procédures, mais ces amendements sont toujours
appliqués du point de vue de la forme sans toucher au fond.
Nous avons donc besoin de ce guide pour s’attaquer au fond
du problème et y porter surtout des solutions »,
ajoute-t-elle.
Un regard conciliant
Mais ce guide n’a pas que des ennemis. Abdel-Moeti Bayoumi,
du Centre des recherches islamiques d’Al-Azhar, pense, lui,
que les principes de la charia permettent de réglementer la
vie courante en fonction des circonstances de la société.
Dans cette optique, il ne s’oppose pas à l’esprit même du
guide, même s’il exprime certaines réserves. « L’un des
compagnons du prophète, Omar Ibn Al-Khattab, a restreint
certaines pratiques autorisées par la charia, et a parfois
même permis le contraire car les circonstances l’exigeaient
», assure Bayoumi. Il n’est pas contre la réglementation de
la polygamie vu que cette pratique, devenue aujourd’hui bien
éloignée de la lettre et de l’esprit des versets du Coran,
est la première cause des conflits conjugaux et la source
d’innombrables malheurs dans beaucoup de familles. D’après
lui, l’interdiction de la polygamie peut très bien
s’effectuer de manière légitime, dans le respect des règles
du droit musulman, en vertu de nombreux principes de la
charia qui peuvent s’appliquer à la situation, et dont la
règle est bien établie : tout ce qui produit plus de mal que
de bien est illicite. « Aujourd’hui, dans un mariage
polygame, il n’y a pas que le mari qui a des droits, comme
le droit inaliénable de prendre une nouvelle épouse, à sa
discrétion. Les autres femmes vivant sous le régime
matrimonial de la polygamie ont aussi des droits, établis
par la charia, qu’il est nécessaire et légitime de protéger.
Comme le droit à l’équité, à la justice, à l’entretien
matériel, pas de préférence donnée sur le plan matériel à
une des épouses ou à quiconque des enfants par rapport aux
autres ou pour tout ce qui a trait à la vie du ménage »,
précise-t-il.
Car dans la réalité, les abus existent bien. Farida a
consacré toute sa vie à son foyer et à son époux. Après 30
ans de mariage, son mari lui a demandé d’approuver son
remariage. « L’élue » n’a que 19 ans ... « J’ai peur d’être
mise à la porte en refusant de signer ce papier, j’accepte
de vivre aujourd’hui sous le même toit que ma dorra »,
dit-elle tristement. Selon elle, le nouveau plan, qui vise à
restreindre la polygamie, mettra fin à cette exploitation
injuste du pouvoir exercé depuis des années par l’homme. Une
opinion soutenue par Siham Ali qui ajoute que l’islam met
des conditions à la polygamie, comme il est dit dans la
sourate Al-Nissaa (les femmes) : « Mais si vous craignez de
n’être pas équitables, prenez une seule femme ».
Le 50 % qui dérange
Or, la polémique ne s’arrête pas là. Le même guide
instructif propose le partage des biens entre les époux.
Cependant, une fois cette question abordée, un débat s’est
vite installé, suscitant la controverse en particulier chez
les hommes, qui craignent d’y voir un coup porté à leurs
biens. D’après Siham Ali, il existe un principe religieux,
propre à l’école malékite, qui consiste à tenir compte de la
contribution de l’épouse à l’enrichissement de la famille. «
C’est son droit le plus absolu vu que ce partage s’applique
uniquement aux biens acquis durant le mariage, et non pas à
l’héritage, tenant compte de sa contribution financière aux
dépenses du foyer. De plus, en accordant à la femme la
moitié des biens de son époux en cas de divorce, celui-ci
hésitera à la répudier », déclare Gamila, pharmacienne, qui,
après un an de stage effectué aux Etats-Unis, est rentrée
pour découvrir que son mari avait obtenu le divorce, qu’il
s’était emparé de sa maison et de sa voiture, et pour
couronner le tout, de sa pharmacie. Pourtant, les hommes
n’ont pas caché leur hostilité, remettant en cause la
richesse commune. Zaki Abou-Ghadda, conseiller culturel de
l’association Si Al-Sayed, chargée de la protection des
droits de l’homme, est allé jusqu’à recommander aux hommes
de ne pas se marier afin de préserver leurs biens. « C’est
plutôt une copie déformée des principes occidentaux les plus
osés. Chaque conjoint portera une arme contre l’autre et
cherchera à sa façon de sortir gagnant de ce commerce »,
poursuit-il.
Selon Medhat Abdel-Hadi, directeur du Centre égyptien pour
les consultations familiales et le développement des
sociétés, il existe un état de chaos au niveau de la
famille, noyau de la société. « Aujourd’hui, 50 % des
nouveaux mariés sont divorcés. Un chiffre qui prouve que la
situation est alarmante et ce n’est pas, comme on le répète
toujours, une question d’ordre économique uniquement car
c’est bien plus profond. Un état de fait qui mérite de la
réflexion et des solutions loin des clichés. La vie
conjugale est un équilibre qui se bâtit sur l’amour et non
pas seulement sur le juridique », conclut-il. Pour lui,
faire en sorte que la société évolue est beaucoup plus
important. C’est ce qui devrait être à la tête des
priorités, bien avant la modification des lois.
Chahinaz Gheith