« Est-ce que je peux te prendre en photo ? », demande la
jeune Salwa à un enfant du village d’Al-Gabal, situé aux
alentours d’Alexandrie. Et sans attendre sa réponse, elle
appuie sur le déclic et continue de se balader en compagnie
de son collègue Mahmoud dans les ruelles du village pour en
prendre d’autres, surtout des enfants. Ces deux photographes
font partie de l’association Help Portrait Alexandrie, qui
regroupe des jeunes de différentes formations et maîtrisant
l’art de la photographie. Ces derniers ont décidé de
profiter de leur talent pour rendre les gens heureux à
travers une photo. « Notre visite au village d’Al-Gabal fait
partie d’une série d’autres que l’on programme régulièrement
dans les endroits les plus défavorisés. Notre objectif :
photographier les gens et les rendre heureux à travers une
photo », explique Salwa, étudiante à la faculté des
beaux-arts. Elle poursuit en affirmant qu’avoir un portrait
de soi est une chose banale et beaucoup d’entre nous en
possèdent des dizaines, mais pour des gens qui peinent à
gagner leur pain, c’est le grand luxe. Alors l’association,
à travers ses membres, utilise les moyens qu’elle possède
pour rendre le sourire à des gens démunis en les prenant en
photo puis en leur offrant ce portrait, eux qui n’ont jamais
eu l’occasion d’en avoir. « Et même si nous étions
convaincus par l’idée dès le départ, après s’être lancés
dans ce projet, on a vu des sourires se dessiner sur les
visages des gens en regardant leurs portraits, et de là, on
a été persuadés de la noblesse de notre geste », dit Mahmoud
Gaballah, étudiant à la faculté des beaux-arts et membre de
l’association.
Une idée mondiale
En
fait, Help Portrait est une idée qui s’est répandue dans le
monde et qui a été lancée au mois de décembre 2009. Cette
initiative vise à rendre les gens les moins chanceux plus
heureux à travers leurs portraits que l’on développe et
donne gratuitement.
L’association regroupe des photographes de tous les pays du
monde et qui ont décidé d’utiliser leur expérience dans ce
domaine de la photographie pour servir les gens défavorisés
dans leurs sociétés. Le but étant de montrer que l’art de la
photographie est capable de révéler les côtés positifs et
négatifs d’une société et peut contribuer à son changement.
Selon Ahmad Farès, fondateur de Help Portrait Alexandrie,
les photographes prennent du temps parfois afin de trouver
quelqu’un pour le prendre en photo. Donc, faire profiter ces
gens en prenant d’eux une photo pourrait les rendre heureux
surtout s’ils n’ont pas à la payer. « C’est notre façon de
les remercier en leur offrant une photo », dit Farès.
Vaincre le doute
Fondée en Egypte en même temps qu’ailleurs, cette
association a commencé par les habitants des quartiers
Al-Max et Kom Al-Dekka car ce sont surtout ces endroits qui
ont toujours inspiré les photographes. « Nous avons pris
là-bas plus de 400 photos et nous avons surpris les gens en
les suspendant sur des cordes à linge dans les rues pour que
chacun puisse prendre la sienne. Je ne peux pas vous décrire
la joie qu’ils ont ressentie », poursuit Farès. Dans les
villages ou les endroits choisis par les jeunes pour prendre
des photos, c’est toujours la joie qui règne. Les enfants
les plus audacieux se mettent devant l’objectif, d’autres
plus timides se cachent derrière leurs parents, tandis que
certains ont besoin d’être convaincus pour accepter d’être
pris en photo. Quant aux adultes, ils sont parfois effrayés
par la présence d’étrangers qui viennent spécialement pour
prendre des photos de leurs enfants, alors ils les cachent
et commencent à poser des dizaines de questions aux jeunes
photographes. « Qui nous dit que vous n’allez pas prendre
des photos de nos enfants sales et démunis pour les montrer
sur les chaînes satellites ? Vous êtes en train de nous
duper », ainsi pensent beaucoup de villageois, mais ils ne
vont pas tarder à changer d’avis, surtout en voyant ces
mêmes photographes revenir avec les photos développées pour
les distribuer aux enfants. Chacun tient la sienne, la
regarde et a du mal à croire que quelqu’un s’est intéressé à
lui et lui a offert son portrait. Selon Farès, les enfants
sont le but essentiel de ce projet. Ils méritent qu’on leur
donne de la joie et un peu de confiance en eux-mêmes. Cette
photo peut avoir un sens plus large car c’est un moyen de
construire un avenir. Il n’est pas rare de voir des sacs
remplis de vêtements pour le déguisement afin que les
enfants les enfilent avant de prendre une photo. « Qu’est-ce
que tu souhaiterais faire plus tard ? Menuiser, médecin,
peintre ou infirmière, l’enfant se déguise à sa guise et la
photo est prise avec la tenue qui convient au métier qu’il a
choisi. On lui donne l’occasion de rêver et on lui remet sa
photo qui porte son prénom précédé du titre comme, par
exemple, le plombier Ali ou l’ingénieure Dina ; ainsi on
leur fait savoir que ce rêve est réalisable », affirme-t-il.
Il ajoute qu’il tient à remettre les photos aux enfants le
jour même. Et il se souvient du jour où il en a pris
quelques-unes d’enfants atteints du cancer et lorsqu’il est
retourné le lendemain pour les remettre, il y en avait un
qui était mort durant la nuit et donc il n’a pas pu voir sa
photo. Hôpitaux, orphelinats et endroits démunis sont les
cibles des jeunes photographes cherchant à prendre des
visages d’enfants en photo. « Pour tranquilliser les gens
qui peuvent avoir des doutes sur nos intentions, on fait ce
travail en collaboration avec des ONG, des Rotary clubs et
des étudiants de différentes facultés, surtout celles de
médecine », dit Farès, lui-même médecin.
Au cours des derniers mois, l’association a pris plus de 2
400 photos qui ont dessiné le sourire sur les visages des
gens qui vivent dans la misère. D’après Salwa, le geste de
prendre en photo un enfant n’est pas simple du tout. Il faut
d’abord casser les barrières en leur parlant gentiment et en
leur faisant sentir qu’ils peuvent avoir confiance en nous.
Salwa ne peut pas oublier le cas d’une jeune fille qui
refusait qu’on la prenne en photo. Après l’avoir convaincue
et en voyant sa photo, elle s’est mise à pleurer. « Je ne
m’attendais pas à une aussi belle photo, j’avais peur de
paraître laide sans mes cheveux », a dit la fille qui suit
des séances de chimiothérapie. Cette dernière s’est sentie
comme une star en ayant sa photo entre les mains. Salwa
affirme que le moment le plus émouvant est celui où les
enfants reçoivent leurs photos. La joie et l’allégresse se
lisent sur tous les visages, surtout en nous suppliant de ne
pas quitter et de revenir une autre fois.
L’autre point important sur lequel travaillent les membres
de l’association, qui a deux antennes à Alexandrie et au
Caire, c’est de créer l’infrastructure nécessaire dans
certains endroits. « On prend en photo des gens aisés et
avec cet argent on choisit des endroits privés d’eau
potable, d’électricité, ou de drainage sanitaire pour
installer ce qui manque », explique Ahmad Haymane,
photographe et responsable de Help Portrait Le Caire. C’est
très fréquent de voir ces jeunes dans les hypermarchés,
centres de shopping ou librairies avec un stand en train
d’expliquer ce qu’ils font, entourés d’individus qui veulent
se faire photographier. Des gens qui sont prêts à payer
entre 10 et 100 L.E. pour aider les plus pauvres. « On
organise aussi des cours d’initiation en photographie et
l’argent que l’on ramasse sert également à financer ces
cours », confie Haymane. En fait, ce travail n’a pas tardé à
porter ses fruits puisqu’en quelques mois, l’âge de
l’association en Egypte, l’équipe du Caire a fait plus de 1
500 photos dont l’argent va servir à faire rentrer l’eau
potable dans la région d’Al-Ayate. Quant à l’équipe
d’Alexandrie, elle a fait plus de 1 600 photos, dont
l’argent a servi à construire 50 maisons dans la région
d’Al-Hawis. Selon Farès, Help Portrait résume l’amour que
l’on porte à la photographie. En initiant les gens à cet art
et en l’utilisant comme moyen de remercier ces gens qui sont
en fait les héros de ces photos, on est parvenu à dessiner
ce sourire sur leurs visages.
Hanaa
El-Mekkawi