Al-Ahram Hebdo, Visages | Youhanna Golta; L’homme du dialogue
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 24 février au 2 mars 2010, numéro 807

 

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Monseigneur Youhanna Golta est l’évêque auxiliaire d’Alexandrie des coptes catholiques. Un éclairé, modéré et surtout un homme privilégiant le dialogue sous toutes ses formes.

L’homme du dialogue

Une armada de titres. Doté d’une immense culture islamo-chrétienne, Mgr Youhanna Golta, évêque de la Cathédrale de la Vierge Marie des coptes catholiques à Madinet Nasr, est à la fois vicaire du patriarche de l’Eglise copte catholique d’Egypte, membre au comité du dialogue patriarcal international auprès du Vatican et membre du comité conjoint pour le dialogue islamo-chrétien. Celui-ci réunit normalement le Comité permanent d’Al-Azhar et le Conseil pontifical catholique.

Youhanna Golta, en homme de religion ouvert d’esprit et modéré, favorise toujours le dialogue, qu’il soit interreligieux ou autre. Dans son diocèse comme ailleurs, sa diplomatie frôle la témérité.

C’est dans un petit bourg de Qéna, en Haute-Egypte, appelé Al-Qotna, qu’est né Youhanna, dont le père n’est qu’un simple négociant pieux. Ce dernier n’a pas hésité à attribuer à son fils le prénom de l’apôtre saint Jean (Youhanna en arabe).

L’enfant a vécu dans une atmosphère sereine et a été attiré, dès son jeune âge, par la situation géographique de son village. Un emplacement bien ajusté entre un ouest serré par une montagne, habité par les chrétiens, et un est encerclé par un immense terrain agricole, habité par des musulmans. « Jamais il n’y a eu de malentendus, de calamités ou de disputes. Musulmans et chrétiens vivaient ensemble en paix. Aujourd’hui, dans mon village natal, cette même harmonie n’est plus. La situation est toute autre », raconte Golta d’une voix attristée, passant en revue les 50 ans passés. Précisément, c’est à l’âge de 6 ans qu’une première obsession l’a hanté. Son père a voulu qu’il soit éduqué dans une école gouvernementale, il l’a envoyé alors au village voisin d’Al-Ghanayem pour joindre un établissement privé dépendant de l’Association de la Haute-Egypte. « Dans le temps, Al-Qotna était dépourvu d’écoles, mais marqué par l’héritage du sacerdoce que l’on avait dans le sang de père en fils. Un héritage qui se perd actuellement », lance Golta vêtu d’une soutane noire, avec une colle blanche (habit européen d’un clergé). Il explique bien sa mission, celle du renoncement aux plaisirs de la vie terrestre : « C’est à l’âge de 6 ans que je me suis demandé : pourquoi cette rupture entre les fils des chrétiens et ceux des musulmans ? Pourquoi aller à une école ne regroupant que des chrétiens ? Et pourquoi cette rupture psychique ? Pour comprendre, j’ai décidé de faire des études en islam. J’ai voulu découvrir l’autre, mon confrère, mon voisin de qui me sépare une toute petite montagne ». Golta a été aussi pris par une autre obsession, celle des gens pauvres et des disparités sociales.

Son père souhaitait que son fils devienne prêtre, alors il l’a envoyé au Caire, à l’école ecclésiastique de Faggalah. Cette école qui appartient à présent à l’école des Jésuites du Caire (le Collège de la Sainte Famille). Selon Golta, la vraie Egypte est celle d’avant la Révolution de 1952. Il s’explique : « L’école des Jésuites était réservée à une élite, des fils de pachas ou de ministres, arrivant avec leurs chauffeurs en Mercedes et des sandwichs chauds. C’était tout à fait le contraire des villageois modestes qui accédaient à l’école des Jésuites pour faire des études religieuses et mangeaient médiocrement dans le monastère de l’école ecclésiastique ». Et d’ajouter : « Mon engagement à devenir prêtre était la seule chose qui m’a retenu. Sinon, je n’aurais jamais pu m’introduire chez les Jésuites ». Ce sont ses écrits signés Ibn al-gabal (le fils de la montagne), affichés sur les murs de son école ecclésiastique, qui l’ont placé sur la liste noire du père supérieur. Ce dernier, ayant prévu le côté rebelle du jeune ecclésiastique envers la société et l’église, a voulu lui inculquer une belle leçon. Ainsi, Golta « l’intrépide » fut envoyé, en 1959, à Bardanoha Matay, un petit village au fin fond de Minya, pour parachever sa mission de prêtre. Il a ensuite suivi des études théologiques fondamentales au grand séminaire de Maadi, consacré à former les prêtres catholiques d’Egypte. « J’estimais peu mon diplôme théologique que je considérais comme culture rudimentaire, très limitée. J’ai voulu, par contre, faire des études plus prestigieuses à l’Université du Caire, en littérature arabe et philosophie islamique. J’ai ainsi ouvert la voie à d’autres collègues pour faire des études universitaires », signale Golta, maintenant une énergie juvénile. C’est à Bardanoha qu’il consacrait trois jours par semaine au service de l’église ; le lundi était exclusivement réservé aux études à l’Université du Caire. Ce, sans avoir l’approbation de ses supérieurs ecclésiastiques.

« A l’Université du Caire, alors que j’assistais à mes cours avec mon costume ecclésiastique, je ne sentais aucune discrimination sociale ou religieuse. J’avais des professeurs adorables comme Soheir Al-Qalamawi et Chawqi Deif. L’université, sans voile ni niqab, ni croix attachée au cou, était une université au vrai sens du terme. Cette ambiance des années 1960 existe-t-elle à présent ? Je m’en doute fort ! Je ne suis pas contre les rituels religieux, ils sont très beaux, symboles du sacré, mais l’essentiel pour moi, c’est la croyance, la foi », dit Youhanna Golta, citant des versets coraniques, trouvant leur équivalent dans la Bible. De tout temps, Golta insistait dans ses écrits journalistiques sur le principe de la citoyenneté. Car Golta est aussi membre du syndicat des Journalistes, ayant signé pas mal d’articles sur la page Opinion du quotidien Al-Ahram et au journal catholique Le Messager.

En effet, c’est à l’Université du Caire que Golta a fait ses premiers essais en écriture. Des écrits essentiellement centrés sur la misère. « C’est à l’Université du Caire que j’ai savouré les écrits de Taha Hussein, surtout son ouvrage Al-Moazaboune fil ard (Les Misérables). Taha Hussein, que j’ai eu l’honneur de visiter deux fois dans sa maison, a réussi à dépeindre la vie des pauvres. Mon master était sur l’influence de la culture française sur la littérature de Taha Hussein. Celui-ci était un écrivain encyclopédiste, ayant étudié le Coran ainsi que l’Ancien et le Nouveau Testament ». Il aime raconter la petite histoire de Taha Hussein et les problèmes soulevés dans les années 1920 par son ouvrage Al-Chéer al-gahéli (poésie anté-islamique). Car lui aussi est du genre à défendre sa pensée jusqu’à l’infini. Sa voix puissante déclare, d’une certaine façon, qu’il ne craint rien. « Dieu merci, mon livre intitulé Al-Massih, daawa lil horriya (Le Christ, une invitation à la liberté) n’a pas été lu par les fanatiques et les traditionnalistes. Autrement, j’allais être exilé », déclare gentiment Golta, exprimant toujours fermement son avis sur le rapport religion-pouvoir. « Le Christ est venu pour libérer la conscience de l’être de l’esclavage des hommes de religion. Dieu a créé l’homme à son image, loin de l’esclavage et de l’obligation. Lorsqu’un homme de religion prend le pouvoir ou une certaine puissance civile, l’Etat est tout de suite menacé. Ceci constitue un vrai danger ».

Golta ne tient pas à paraître avec sa coiffe noire sur la tête ou à ce que les fidèles se penchent, par respect, en le saluant. « La religion, qu’il s’agisse du christianisme ou de l’islam, n’est pas décernée à diriger les lois citadines, mais à diriger les cœurs, les consciences et les moralités. L’islam dit qu’il n’y a pas de contrainte dans la religion et le christianisme souligne également que la vérité nous libère », ajoute Mgr Golta, auteur de plusieurs livres dont le plus récent sera publié en langue française, en mai prochain, sous le titre de Dieu, maître du dialogue.

 En fait, pour parler de dialogue, Monseigneur est bien situé pour le faire. Il travaille dessus depuis belle lurette et est membre de plusieurs comités œuvrant pour une meilleure entente entre les citoyens. En même temps, il est professeur de critique littéraire à l’Académie des arts et à l’Université américaine du Caire et membre du comité Al-Adala wal salam (justice et paix). « On ne peut pas affirmer qu’il existe en Egypte une discrimination envers les chrétiens ou que ceux-ci sont persécutés au vrai sens du terme. Mais il y a certains postes supérieurs qui leur sont interdits. Les derniers incidents de Nag Hammadi (ouvrir le feu sur des coptes sortant de la prière lors de la Noël copte, en janvier dernier, en Haute-Egypte) ne sont pas nouveaux. Le pays en a connu bien d’autres, mais de manière moins frappante. Je reproche aux médias, notamment les chaînes privées, de mettre de l’huile sur le feu et de provoquer l’opinion publique ». Et de poursuivre : « En Egypte, les disputes se transforment d’habitude en litiges religieux. Or, les problèmes en cause sont souvent d’ordre politique ou social. Je constate qu’un musulman modéré sait bien que son confrère chrétien est lui aussi un Egyptien. L’islam modéré se perd parmi les tendances qui nous parviennent d’ailleurs. Les valeurs morales ont beaucoup changé ».

Golta, représentant de l’Eglise copte catholique en Egypte, s’occupe surtout de relations publiques et médias. « Qui déclenche les révolutions ? Ce sont les écrivains et les intellectuels qui prévoient le vrai futur du pays. C’est à eux de faire front pour faire évoluer la situation », dit Golta, un grand admirateur de Nasser. D’ailleurs, la photo du fameux raïs est accrochée dans son bureau à l’enceinte de la Cathédrale de Madinet Nasr. « Nasser est avant tout un homme qui a ressenti les afflictions de son peuple, musulmans et chrétiens, à un pied d’égalité », signale-t-il.

De la culture chrétienne, Monseigneur a surtout appris la pureté du cœur, l’amour, l’égalité et le service d’autrui. Et de la culture islamo-arabe, il a retenu la pureté de la raison et une certaine logique. Car Golta est un cartésien, épris aussi de l’humanisme à la Molière.

Tous les dimanches, dans la Cathédrale de Madinet Nasr, dont il est le pasteur depuis 6 ans, il donne des prêches tournant autour de ces mêmes valeurs : l’amour, le respect et la raison. Des jeunes musulmans viennent aussi jouer avec leurs amis chrétiens dans la cour de la cathédrale. Un vaste espace où l’on a bâti le collège Saint-Georges. Celui-ci reçoit tout le monde, musulmans et chrétiens, leur fournissant un enseignement en anglais. « Quand on commence à étudier une nouvelle religion, il faut tout d’abord la respecter et l’aimer », exprime l’évêque qui trouve sa quiétude dans le silence de la nuit et ses lectures nocturnes, après une longue journée de service.

Névine Lameï

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 Jalons 

Janvier : Naissance à Qéna (en Haute-Egypte).

1960 : Diplôme de littérature arabe et d’études islamiques, Université du Caire.

1973 : Voyage en France pour étudier la littérature française.

1976 : Master sur L’influence de la culture française sur la littérature de Taha Hussein.

1982 : Doctorat en Etudes poétiques des orientalistes français.

1985 : Membre du Comité du dialogue patriarcal international, du Vatican.

2000 : Evêque de l’Eglise copte catholique de Choubra.

2004 : Evêque de l’Eglise copte catholique de Madinet Nasr.

 




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