Monseigneur Youhanna Golta
est l’évêque auxiliaire d’Alexandrie des coptes catholiques.
Un éclairé, modéré et surtout un homme privilégiant le
dialogue sous toutes ses formes.
L’homme du dialogue
Une
armada de titres. Doté d’une immense culture
islamo-chrétienne, Mgr Youhanna Golta, évêque de la
Cathédrale de la Vierge Marie des coptes catholiques à
Madinet Nasr, est à la fois vicaire du patriarche de
l’Eglise copte catholique d’Egypte, membre au comité du
dialogue patriarcal international auprès du Vatican et
membre du comité conjoint pour le dialogue islamo-chrétien.
Celui-ci réunit normalement le Comité permanent d’Al-Azhar
et le Conseil pontifical catholique.
Youhanna
Golta, en homme de religion ouvert d’esprit et modéré,
favorise toujours le dialogue, qu’il soit interreligieux ou
autre. Dans son diocèse comme ailleurs, sa diplomatie frôle
la témérité.
C’est
dans un petit bourg de Qéna, en Haute-Egypte, appelé Al-Qotna,
qu’est né Youhanna, dont le père n’est qu’un simple
négociant pieux. Ce dernier n’a pas hésité à attribuer à son
fils le prénom de l’apôtre saint Jean (Youhanna en arabe).
L’enfant
a vécu dans une atmosphère sereine et a été attiré, dès son
jeune âge, par la situation géographique de son village. Un
emplacement bien ajusté entre un ouest serré par une
montagne, habité par les chrétiens, et un est encerclé par
un immense terrain agricole, habité par des musulmans. «
Jamais il n’y a eu de malentendus, de calamités ou de
disputes. Musulmans et chrétiens vivaient ensemble en paix.
Aujourd’hui, dans mon village natal, cette même harmonie
n’est plus. La situation est toute autre », raconte Golta
d’une voix attristée, passant en revue les 50 ans passés.
Précisément, c’est à l’âge de 6 ans qu’une première
obsession l’a hanté. Son père a voulu qu’il soit éduqué dans
une école gouvernementale, il l’a envoyé alors au village
voisin d’Al-Ghanayem pour joindre un établissement privé
dépendant de l’Association de la Haute-Egypte. « Dans le
temps, Al-Qotna était dépourvu d’écoles, mais marqué par
l’héritage du sacerdoce que l’on avait dans le sang de père
en fils. Un héritage qui se perd actuellement », lance Golta
vêtu d’une soutane noire, avec une colle blanche (habit
européen d’un clergé). Il explique bien sa mission, celle du
renoncement aux plaisirs de la vie terrestre : « C’est à
l’âge de 6 ans que je me suis demandé : pourquoi cette
rupture entre les fils des chrétiens et ceux des musulmans ?
Pourquoi aller à une école ne regroupant que des chrétiens ?
Et pourquoi cette rupture psychique ? Pour comprendre, j’ai
décidé de faire des études en islam. J’ai voulu découvrir
l’autre, mon confrère, mon voisin de qui me sépare une toute
petite montagne ». Golta a été aussi pris par une autre
obsession, celle des gens pauvres et des disparités
sociales.
Son père
souhaitait que son fils devienne prêtre, alors il l’a envoyé
au Caire, à l’école ecclésiastique de Faggalah. Cette école
qui appartient à présent à l’école des Jésuites du Caire (le
Collège de la Sainte Famille). Selon Golta, la vraie Egypte
est celle d’avant la Révolution de 1952. Il s’explique : «
L’école des Jésuites était réservée à une élite, des fils de
pachas ou de ministres, arrivant avec leurs chauffeurs en
Mercedes et des sandwichs chauds. C’était tout à fait le
contraire des villageois modestes qui accédaient à l’école
des Jésuites pour faire des études religieuses et mangeaient
médiocrement dans le monastère de l’école ecclésiastique ».
Et d’ajouter : « Mon engagement à devenir prêtre était la
seule chose qui m’a retenu. Sinon, je n’aurais jamais pu
m’introduire chez les Jésuites ». Ce sont ses écrits signés
Ibn al-gabal (le fils de la montagne), affichés sur les murs
de son école ecclésiastique, qui l’ont placé sur la liste
noire du père supérieur. Ce dernier, ayant prévu le côté
rebelle du jeune ecclésiastique envers la société et
l’église, a voulu lui inculquer une belle leçon. Ainsi,
Golta « l’intrépide » fut envoyé, en 1959, à Bardanoha
Matay, un petit village au fin fond de Minya, pour
parachever sa mission de prêtre. Il a ensuite suivi des
études théologiques fondamentales au grand séminaire de
Maadi, consacré à former les prêtres catholiques d’Egypte. «
J’estimais peu mon diplôme théologique que je considérais
comme culture rudimentaire, très limitée. J’ai voulu, par
contre, faire des études plus prestigieuses à l’Université
du Caire, en littérature arabe et philosophie islamique.
J’ai ainsi ouvert la voie à d’autres collègues pour faire
des études universitaires », signale Golta, maintenant une
énergie juvénile. C’est à Bardanoha qu’il consacrait trois
jours par semaine au service de l’église ; le lundi était
exclusivement réservé aux études à l’Université du Caire.
Ce, sans avoir l’approbation de ses supérieurs
ecclésiastiques.
« A
l’Université du Caire, alors que j’assistais à mes cours
avec mon costume ecclésiastique, je ne sentais aucune
discrimination sociale ou religieuse. J’avais des
professeurs adorables comme Soheir Al-Qalamawi et Chawqi
Deif. L’université, sans voile ni niqab, ni croix attachée
au cou, était une université au vrai sens du terme. Cette
ambiance des années 1960 existe-t-elle à présent ? Je m’en
doute fort ! Je ne suis pas contre les rituels religieux,
ils sont très beaux, symboles du sacré, mais l’essentiel
pour moi, c’est la croyance, la foi », dit Youhanna Golta,
citant des versets coraniques, trouvant leur équivalent dans
la Bible. De tout temps, Golta insistait dans ses écrits
journalistiques sur le principe de la citoyenneté. Car Golta
est aussi membre du syndicat des Journalistes, ayant signé
pas mal d’articles sur la page Opinion du quotidien Al-Ahram
et au journal catholique Le Messager.
En
effet, c’est à l’Université du Caire que Golta a fait ses
premiers essais en écriture. Des écrits essentiellement
centrés sur la misère. « C’est à l’Université du Caire que
j’ai savouré les écrits de Taha Hussein, surtout son ouvrage
Al-Moazaboune fil ard (Les Misérables). Taha Hussein, que
j’ai eu l’honneur de visiter deux fois dans sa maison, a
réussi à dépeindre la vie des pauvres. Mon master était sur
l’influence de la culture française sur la littérature de
Taha Hussein. Celui-ci était un écrivain encyclopédiste,
ayant étudié le Coran ainsi que l’Ancien et le Nouveau
Testament ». Il aime raconter la petite histoire de Taha
Hussein et les problèmes soulevés dans les années 1920 par
son ouvrage Al-Chéer al-gahéli (poésie anté-islamique). Car
lui aussi est du genre à défendre sa pensée jusqu’à
l’infini. Sa voix puissante déclare, d’une certaine façon,
qu’il ne craint rien. « Dieu merci, mon livre intitulé
Al-Massih, daawa lil horriya (Le Christ, une invitation à la
liberté) n’a pas été lu par les fanatiques et les
traditionnalistes. Autrement, j’allais être exilé », déclare
gentiment Golta, exprimant toujours fermement son avis sur
le rapport religion-pouvoir. « Le Christ est venu pour
libérer la conscience de l’être de l’esclavage des hommes de
religion. Dieu a créé l’homme à son image, loin de
l’esclavage et de l’obligation. Lorsqu’un homme de religion
prend le pouvoir ou une certaine puissance civile, l’Etat
est tout de suite menacé. Ceci constitue un vrai danger ».
Golta ne
tient pas à paraître avec sa coiffe noire sur la tête ou à
ce que les fidèles se penchent, par respect, en le saluant.
« La religion, qu’il s’agisse du christianisme ou de
l’islam, n’est pas décernée à diriger les lois citadines,
mais à diriger les cœurs, les consciences et les moralités.
L’islam dit qu’il n’y a pas de contrainte dans la religion
et le christianisme souligne également que la vérité nous
libère », ajoute Mgr Golta, auteur de plusieurs livres dont
le plus récent sera publié en langue française, en mai
prochain, sous le titre de Dieu, maître du dialogue.
En
fait, pour parler de dialogue, Monseigneur est bien situé
pour le faire. Il travaille dessus depuis belle lurette et
est membre de plusieurs comités œuvrant pour une meilleure
entente entre les citoyens. En même temps, il est professeur
de critique littéraire à l’Académie des arts et à
l’Université américaine du Caire et membre du comité
Al-Adala wal salam (justice et paix). « On ne peut pas
affirmer qu’il existe en Egypte une discrimination envers
les chrétiens ou que ceux-ci sont persécutés au vrai sens du
terme. Mais il y a certains postes supérieurs qui leur sont
interdits. Les derniers incidents de Nag Hammadi (ouvrir le
feu sur des coptes sortant de la prière lors de la Noël
copte, en janvier dernier, en Haute-Egypte) ne sont pas
nouveaux. Le pays en a connu bien d’autres, mais de manière
moins frappante. Je reproche aux médias, notamment les
chaînes privées, de mettre de l’huile sur le feu et de
provoquer l’opinion publique ». Et de poursuivre : « En
Egypte, les disputes se transforment d’habitude en litiges
religieux. Or, les problèmes en cause sont souvent d’ordre
politique ou social. Je constate qu’un musulman modéré sait
bien que son confrère chrétien est lui aussi un Egyptien.
L’islam modéré se perd parmi les tendances qui nous
parviennent d’ailleurs. Les valeurs morales ont beaucoup
changé ».
Golta,
représentant de l’Eglise copte catholique en Egypte,
s’occupe surtout de relations publiques et médias. « Qui
déclenche les révolutions ? Ce sont les écrivains et les
intellectuels qui prévoient le vrai futur du pays. C’est à
eux de faire front pour faire évoluer la situation », dit
Golta, un grand admirateur de Nasser. D’ailleurs, la photo
du fameux raïs est accrochée dans son bureau à l’enceinte de
la Cathédrale de Madinet Nasr. « Nasser est avant tout un
homme qui a ressenti les afflictions de son peuple,
musulmans et chrétiens, à un pied d’égalité », signale-t-il.
De la
culture chrétienne, Monseigneur a surtout appris la pureté
du cœur, l’amour, l’égalité et le service d’autrui. Et de la
culture islamo-arabe, il a retenu la pureté de la raison et
une certaine logique. Car Golta est un cartésien, épris
aussi de l’humanisme à la Molière.
Tous les
dimanches, dans la Cathédrale de Madinet Nasr, dont il est
le pasteur depuis 6 ans, il donne des prêches tournant
autour de ces mêmes valeurs : l’amour, le respect et la
raison. Des jeunes musulmans viennent aussi jouer avec leurs
amis chrétiens dans la cour de la cathédrale. Un vaste
espace où l’on a bâti le collège Saint-Georges. Celui-ci
reçoit tout le monde, musulmans et chrétiens, leur
fournissant un enseignement en anglais. « Quand on commence
à étudier une nouvelle religion, il faut tout d’abord la
respecter et l’aimer », exprime l’évêque qui trouve sa
quiétude dans le silence de la nuit et ses lectures
nocturnes, après une longue journée de service.
Névine Lameï