Siwa.
Le creusement excessif de puits a provoqué une élévation des
eaux souterraines. De quoi menacer dangereusement
l’agriculture et du coup les habitants de cette oasis
lointaine. Reportage.
L’oasis prise dans les eaux
Accéder
à l’Oasis de Siwa n’est pas une tâche facile. Il faut 14
heures en bus et un parcours de 820 km depuis Le Caire. La
plupart des transports pour Siwa passent d’abord par la
ville de Marsa Matrouh sur la Méditerranée avant de prendre
la route vers le sud. Un voyage au bout duquel l’oasis
apparaît comme un mirage ... En plein cœur du Sahara, à 60
km de la frontière libyenne, Siwa n’a trouvé sa place sur la
carte d’Egypte en tant que ville dépendant du gouvernorat de
Matrouh qu’après la Révolution de 1952. Un statut plutôt
symbolique qui s’est longtemps limité à subvenir aux besoins
de première nécessité des habitants. L’oasis n’est
effectivement sortie de l’oubli que dans les années 1980.
Une route liant l’oasis à la ville de Marsa Matrouh, située
à 306 km plus au nord, a été percée et asphaltée en 1984. Un
an après, l’électricité a fait son apparition. De multiples
services et infrastructures ont été installés. La ville
commence à accueillir des groupes touristiques qui viennent
souvent en safari découvrir les mystères de ce coin vierge.
Les habitants (aujourd’hui au nombre de 20 000) commencent à
s’ouvrir au monde extérieur et à bénéficier de l’aubaine
touristique.
Mais le tableau de l’oasis n’est plus idyllique et les
habitants ont du mal à savourer pleinement les petits
avantages acquis au fil des ans à cause du problème des eaux
souterraines qui menacent la culture des dattes et des
olives, l’autre source de gagne-pain avec le tourisme. Le
député de Siwa, Bilal Ahmad, avait déjà présenté une
interpellation au Parlement dans une tentative de médiatiser
ce problème. Et tout le monde attendait le mois dernier la
visite du premier ministre, Ahmad Nazif. Une visite destinée
certes à promouvoir le potentiel touristique de ce coin
retiré de l’Egypte, mais ils en auraient profité pour régler
ce problème. Mais à leur grande déception, le chef du
gouvernement a ajourné sa visite sans avancer de raison.
L’agriculture est l’activité principale des Siwis. Les
paysans dépendent des eaux souterraines, qui se trouvent en
abondance, pour l’irrigation de leurs terres. Mais depuis
les années 1990, rien ne va plus.
Les paysans ont creusé trop de puits pour se garantir à
chacun une quantité suffisante d’eau pour la culture. «
L’eau est disponible 24/24h, et la quantité dépasse nos
besoins. Le problème, c’est que l’élévation du niveau des
eaux commence à submerger certains terrains, de quoi
endommager les cultures, surtout que le niveau de salinité
est élevé », explique Saïd Chaabane, cheikh de la tribu
Aghurmi.
Le taux de salinité du sol influe négativement sur la
production des dattes et des olives, entraînant une perte
annuelle que la municipalité estime aujourd’hui à plusieurs
millions de L.E.
La solution ? Les habitants de la ville demandent au
gouvernement d’installer un système de drainage. En 1996,
une visite du président Moubarak a permis aux habitants de
Siwa d’attirer l’attention des responsables. Suite à cette
visite, le ministère de l’Irrigation a envoyé des experts
pour étudier la situation sur les terrains et examiner les
demandes des habitants. Les experts ont recommandé le
percement de deux bassins géants pour recevoir le surplus
d’eau. Le projet a été aussitôt achevé. Une autre
recommandation consistait à remblayer le maximum de puits «
sauvages » et de les remplacer par d’autres, plus profonds,
scientifiquement conçus et gérés.
Or, les responsables du ministère de l’Irrigation se sont
mis à creuser les puits selon le plan officiel, tout en
enjoignant les habitants à remblayer leurs puits avec leurs
propres moyens. Ces derniers rechignent à s’exécuter, d’un
côté par manque de confiance et de l’autre par manque de
moyens. « Pour creuser ce puits, j’ai dépensé 5 000 L.E.
Pour le remblayer aujourd’hui, je dois payer une somme
semblable. Si le gouvernement juge menaçant ce genre de
puits, il n’a qu’à financer leur remblayage », se plaint
Ibrahim, un habitant. Résultat : les puits creusés par le
ministère n’ont pas résolu le problème et les eaux
souterraines continuent à monter à la surface, suite au
creusement de puits partout, ici et là.
Selon le président de la municipalité, Hamza Mansour, Siwa
renferme un millier de puits dont débordent des quantités
d’eau importantes. « C’est un danger qui menace toute la
ville, notamment à cause de son emplacement géographique »,
ajoute le responsable.
En effet, d’après les experts, Siwa, qui fait partie de la
dépression de Qatarra, est menacée d’inondation bien que la
surface des deux réservoirs de collecte d’eau soit passée de
27 000 à 48 000 m2.
Les chefs des 11 tribus de Siwa, les cheikhs des mosquées et
les dirigeants de la municipalité tiennent des rencontres
continuelles avec les habitants pour les sensibiliser contre
ce danger écologique et économique et les convaincre de
cesser de creuser des puits. La superbe oasis risque-t-elle
de disparaître sous les eaux ?
Héba
Nasreddine