Al-Ahram Hebdo, Visages | Rashika El-Ridi
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 4 au 10 novembre 2009, numéro 791

 

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Visages

Professeure d’immunologie au département de zoologie à la faculté des sciences de l’Université du Caire, Rashika El-Ridi est lauréate du palmarès L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science pour sa contribution au développement d’un vaccin contre la bilharziose.

Une battante cartésienne

Une vie. Voilà ce que signifie la science pour cette femme. N’est-ce pas normal pour une spécialiste en biologie ? La science du vivant. Rashika El-Ridi est une femme pas comme les autres. Elle appartient à une génération d’Egyptiennes pour qui le goût du savoir mène à l’extase. Et à faire ses preuves, sans doute, au milieu d’un monde masculin. Ainsi a-t-elle passé vingt ans de sa vie, huit heures par jour, à faire et à refaire inlassablement des expériences afin de développer un vaccin contre la bilharziose. Cette maladie qui a dévoré tant d’Egyptiens au cours d’un siècle entier.

Fille d’un chirurgien et d’une pédiatre, elle a l’amour des sciences dans les veines. Or, elle a fait ses premiers pas de rebelle en choisissant la faculté des sciences, département de zoologie, pour se spécialiser plus tard en biologie. « Non, pas du tout. J’étais simplement brillante en chimie et en biologie à l’école. D’ailleurs, la médecine fait partie aussi de la science », explique-t-elle. Cette étude de sciences convient probablement plus à son caractère, puisqu’elle est ouverte à la critique et aux connaissances sans être soumise à une règle ou à une méthode dite « la plus véritable ». Tout est à remettre en question, à réviser. Une attitude inhérente à son caractère. Elle a appris, dès son jeune âge, comment sortir des sentiers battus. « C’est grâce à ma mère que j’ai appris comment affronter et prendre les choses en main », souligne-t-elle sur un ton confiant, et d’ajouter : « Ma mère appartenait à l’aristocratie turque, et donc elle incarnait l’exemple type de la femme turque du point de vue sévérité et exigence ». Avec trois frères plus âgés qu’elle, Rashika n’était pas pourtant choyée. « Bien au contraire, ma mère m’a négligée moralement bien qu’elle s’occupât de moi physiquement dans le sens où elle veillait à ce que je ne tombe pas malade, etc. Nos relations étaient plutôt antagoniques », semble-t-elle se souvenir d’un passé lointain, mais encore vivant dans sa mémoire. « C’était vraiment une éducation rigide qui manque d’interaction profonde. D’ailleurs, je peux dire que cela a renforcé mon caractère et m’a appris à faire face à tout ». Rashika n’oublie jamais qu’à l’âge de deux ans, elle a été giflée par sa mère pour une raison simple sinon banale : elle a oublié son parasol à la plage ! « J’ai appris, dès ce jour-là, le sens de la responsabilité ». Une éducation qui l’a profondément marquée. Elle était si forte qu’elle a pu surmonter l’arrogance de la mère. Elle était d’un autre côté adorée de son père. « Mon père incarnait toute la tendresse du monde. Et je pense avoir hérité ce côté affectueux de lui. Je l’aimais beaucoup. Je pense qu’il s’agit là du complexe d’Electre ? », s’interroge-t-elle en souriant.

Elégante, humble, sympathique, et surtout intelligente, il suffit que Rashika El-Ridi commence son discours pour que l’interlocuteur lui prête attention et passe directement à son propre monde, une vie basée sur la logique tout en admettant les probabilités, le doute cartésien, et surtout « l’imagination ». « Jeune, j’avais beaucoup d’imagination, surtout que j’ai été avide de lecture : la littérature française, je l’ai toute lue », explique-t-elle, fière de sa formation francophone qui a beaucoup marqué son caractère, à l’instar de sa mère. « Ma vie personnelle et scientifique se résume en deux éléments principaux : la formation française et l’éducation de ma mère », affirme Rashika, ancienne élève du Lycée d’Héliopolis où elle a obtenu le baccalauréat français. « Le système français m’a inculqué l’amour de la science et de la littérature. Et grâce à ma mère, j’ai appris l’intégrité, l’impossibilité d’être corrompue ». Avec un caractère pareil, il était si simple pour une jeune fille brillante et distinguée de partir ailleurs pour poursuivre ses études de doctorat. La destination fut l’un des instituts les plus éminents au monde, à savoir l’Institut de génétique moléculaire, à l’Académie tchèque des sciences. « C’était à Prague. L’ambiance était vraiment motivante. C’étaient les plus belles années de ma vie ». Seule sous le soleil de Prague, Rashika était tout le temps habitée par le désir de retourner à son pays natal afin de transporter la chaleur du soleil de Prague à son département à la faculté des sciences. « J’ai voulu recréer le département avec de dizaines de chercheurs et chercheuses, et donner un élan à cette branche d’immunologie qui n’était pas très développée à l’époque en Egypte, bien qu’elle soit très demandée ». Certes, la voie n’était pas sans embûches. D’abord, faire l’équilibre entre le fait d’être une mère et une chercheuse n’était pas une affaire mince. « Mon fils unique, Hatem, était au centre de mon intérêt, mais autour, il y avait de la place pour d’autres choses ». Elle était ravie de se rappeler comment elle lui racontait des histoires, la nuit, à l’instar de toute mère. « Il est maintenant titulaire d’un doctorat et est devenu mon aide principal ». Au niveau de son parcours académique, elle a affirmé une idée abandonnée : la science n’est pas essentiellement un genre masculin. « A chaque fois qu’une personne essaie de me contrarier, je lui annonce que cela ne va mener à rien : j’ai déjà défié ma mère », ajoute-t-elle.

Au début de son parcours, Rashika El-Ridi a fait des recherches sur l’immunologie des reptiles. Un choix qui lui était évident puisque « l’Egypte est connue pour une panoplie de reptiles assez vaste, sinon la plus riche du monde ». Rassasiée, elle change d’orientation pour se vouer pendant vingt ans à l’étude de la bilharziose. Ce parasite qui cause une maladie chronique, dont la prévalence atteint les 200 millions d’habitants dans le continent noir. Celle-ci est classée comme seconde endémie mondiale après le paludisme (la malaria). Et c’est pour cela qu’elle s’insurge contre la propagande faite ces jours-ci sur la grippe porcine dont l’extension en Afrique est relativement limitée et dont le risque demeure minime. « Courir après cette propagande nous éloigne d’étudier d’autres maladies graves qui sont enracinées dans notre continent et qui sont négligées par les pays développés ». D’après Rashika El-Ridi, la bilharziose doit être une priorité. « Le problème d’ordre colossal que nous avons affronté durant notre recherche était lié à la biologie de ce parasite qui vit dans les capillaires sanguins : il se cache à la perfection ». Elle n’hésite pas à nous illustrer sur papier, et de manière intéressante, ces propos. « Notre premier objectif était de découvrir son mécanisme d’évasion. Et par la suite, savoir détecter sa présence pour pouvoir mettre fin à sa présence ». Rashika a enfin réussi à reproduire au laboratoire un genre de protéines dont les molécules ont un rôle crucial dans les interactions entre les cellules impliquées dans le système immunitaire. Une raison pour laquelle elle a mérité le prix L’Oréal-Unesco pour la femme et les sciences. C’est un prix uniquement décerné aux chercheuses et dont la valeur réside dans le fait que le jury est constitué de titulaires du prix Nobel. « Je suis très reconnaissante au professeur Mohamad Aboul-Ghar qui m’a nommée ». Chaque année, ce jury octroie le palmarès aux 5 femmes scientifiques émérites représentant les 5 continents. Rashika El-Ridi est choisie dans cette 12e édition pour l’année 2010 représentant l’Afrique et les pays arabes. « Le critère essentiel c’est l’excellence, la qualité des travaux, leur importance pour le progrès du savoir et leur importance aussi pour ce qui concerne leurs applications utiles ou bénéfiques à l’humanité », a expliqué Christian de Duve, prix Nobel en science biologique et médicale et fondateur du prix L’Oréal-Unesco. Des critères qui s’appliquent à Rashika El-Ridi qui n’a cependant pas reçu de décoration locale. Bien plus, on l’avait écartée de la liste des prix d’estime. « Je suis indifférente ». Certes, à la suite de l’obtention d’un prix mondial ? « Non, même avant, j’étais indifférente et je le serai toujours », souligne-t-elle en toute assurance. « On ne m’a jamais demandé quoi que ce soit. Je n’étais ni chef de département ni doyenne. Alors, je me suis habituée à rester dans l’ombre, voire dans l’obscurité. Une obscurité plaisante et tranquille, qui me permet de travailler et de me concentrer ». La recherche scientifique en Egypte traverse, selon elle, une sorte de crise à cause de la loi dirigeant les universités. Cette loi permet à de faux chercheurs de garder leurs places à l’université, de toucher leurs salaires sans faire aucune recherche. « Le problème n’est pas lié au financement. C’est vrai que celui-ci n’est pas une question facile, mais il n’est pas impossible. Il faut toujours chercher des moyens à faire ses recherches. Et, il existe même des organisations qui s’intéressent au financement de la recherche scientifique ». Bref, elle insiste sur le fait que cette loi doit être révisée et légiférée de nouveau par les grands professeurs universitaires. Ses projets d’avenir ? « Je travaille encore sur le vaccin dans le but de le rendre beaucoup plus efficace ». L’essentiel pour Rashika El-Ridi est de poursuivre ses recherches et de garder cette aptitude de faire face à toute entrave menaçant son monde à elle, sa vie, la science.

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

23 juin 1941 : Naissance à Alexandrie.

1960 : Baccalauréat français au Lycée d’Héliopolis.

1971 : Doctorat en immunologie de l’Institut de génétique moléculaire, l’Académie tchèque des sciences, Prague.

1979 : Naissance de son fils unique et Prix d’estime de l’Université du Caire.

2004 : Docteur ès sciences.

2009 : Obtention du palmarès L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science pour l’an 2010.

 

 

 




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