Professeure d’immunologie au département de zoologie à la
faculté des sciences de l’Université du Caire,
Rashika El-Ridi
est lauréate du palmarès L’Oréal-Unesco pour les
femmes et la science pour sa contribution au développement
d’un vaccin contre la bilharziose.
Une
battante cartésienne
Une vie.
Voilà ce que signifie la science pour cette femme. N’est-ce
pas normal pour une spécialiste en biologie ? La science du
vivant. Rashika El-Ridi est une femme pas comme les autres.
Elle appartient à une génération d’Egyptiennes pour qui le
goût du savoir mène à l’extase. Et à faire ses preuves, sans
doute, au milieu d’un monde masculin. Ainsi a-t-elle passé
vingt ans de sa vie, huit heures par jour, à faire et à
refaire inlassablement des expériences afin de développer un
vaccin contre la bilharziose. Cette maladie qui a dévoré
tant d’Egyptiens au cours d’un siècle entier.
Fille
d’un chirurgien et d’une pédiatre, elle a l’amour des
sciences dans les veines. Or, elle a fait ses premiers pas
de rebelle en choisissant la faculté des sciences,
département de zoologie, pour se spécialiser plus tard en
biologie. « Non, pas du tout. J’étais simplement brillante
en chimie et en biologie à l’école. D’ailleurs, la médecine
fait partie aussi de la science », explique-t-elle. Cette
étude de sciences convient probablement plus à son caractère,
puisqu’elle est ouverte à la critique et aux connaissances
sans être soumise à une règle ou à une méthode dite « la
plus véritable ». Tout est à remettre en question, à réviser.
Une attitude inhérente à son caractère. Elle a appris, dès
son jeune âge, comment sortir des sentiers battus. « C’est
grâce à ma mère que j’ai appris comment affronter et prendre
les choses en main », souligne-t-elle sur un ton confiant,
et d’ajouter : « Ma mère appartenait à l’aristocratie turque,
et donc elle incarnait l’exemple type de la femme turque du
point de vue sévérité et exigence ». Avec trois frères plus
âgés qu’elle, Rashika n’était pas pourtant choyée. « Bien au
contraire, ma mère m’a négligée moralement bien qu’elle
s’occupât de moi physiquement dans le sens où elle veillait
à ce que je ne tombe pas malade, etc. Nos relations étaient
plutôt antagoniques », semble-t-elle se souvenir d’un passé
lointain, mais encore vivant dans sa mémoire. « C’était
vraiment une éducation rigide qui manque d’interaction
profonde. D’ailleurs, je peux dire que cela a renforcé mon
caractère et m’a appris à faire face à tout ». Rashika
n’oublie jamais qu’à l’âge de deux ans, elle a été giflée
par sa mère pour une raison simple sinon banale : elle a
oublié son parasol à la plage ! « J’ai appris, dès ce jour-là,
le sens de la responsabilité ». Une éducation qui l’a
profondément marquée. Elle était si forte qu’elle a pu
surmonter l’arrogance de la mère. Elle était d’un autre côté
adorée de son père. « Mon père incarnait toute la tendresse
du monde. Et je pense avoir hérité ce côté affectueux de lui.
Je l’aimais beaucoup. Je pense qu’il s’agit là du complexe
d’Electre ? », s’interroge-t-elle en souriant.
Elégante,
humble, sympathique, et surtout intelligente, il suffit que
Rashika El-Ridi commence son discours pour que
l’interlocuteur lui prête attention et passe directement à
son propre monde, une vie basée sur la logique tout en
admettant les probabilités, le doute cartésien, et surtout «
l’imagination ». « Jeune, j’avais beaucoup d’imagination,
surtout que j’ai été avide de lecture : la littérature
française, je l’ai toute lue », explique-t-elle, fière de sa
formation francophone qui a beaucoup marqué son caractère, à
l’instar de sa mère. « Ma vie personnelle et scientifique se
résume en deux éléments principaux : la formation française
et l’éducation de ma mère », affirme Rashika, ancienne élève
du Lycée d’Héliopolis où elle a obtenu le baccalauréat
français. « Le système français m’a inculqué l’amour de la
science et de la littérature. Et grâce à ma mère, j’ai
appris l’intégrité, l’impossibilité d’être corrompue ». Avec
un caractère pareil, il était si simple pour une jeune fille
brillante et distinguée de partir ailleurs pour poursuivre
ses études de doctorat. La destination fut l’un des
instituts les plus éminents au monde, à savoir l’Institut de
génétique moléculaire, à l’Académie tchèque des sciences. «
C’était à Prague. L’ambiance était vraiment motivante.
C’étaient les plus belles années de ma vie ». Seule sous le
soleil de Prague, Rashika était tout le temps habitée par le
désir de retourner à son pays natal afin de transporter la
chaleur du soleil de Prague à son département à la faculté
des sciences. « J’ai voulu recréer le département avec de
dizaines de chercheurs et chercheuses, et donner un élan à
cette branche d’immunologie qui n’était pas très développée
à l’époque en Egypte, bien qu’elle soit très demandée ».
Certes, la voie n’était pas sans embûches. D’abord, faire
l’équilibre entre le fait d’être une mère et une chercheuse
n’était pas une affaire mince. « Mon fils unique, Hatem,
était au centre de mon intérêt, mais autour, il y avait de
la place pour d’autres choses ». Elle était ravie de se
rappeler comment elle lui racontait des histoires, la nuit,
à l’instar de toute mère. « Il est maintenant titulaire d’un
doctorat et est devenu mon aide principal ». Au niveau de
son parcours académique, elle a affirmé une idée abandonnée
: la science n’est pas essentiellement un genre masculin. «
A chaque fois qu’une personne essaie de me contrarier, je
lui annonce que cela ne va mener à rien : j’ai déjà défié ma
mère », ajoute-t-elle.
Au début
de son parcours, Rashika El-Ridi a fait des recherches sur
l’immunologie des reptiles. Un choix qui lui était évident
puisque « l’Egypte est connue pour une panoplie de reptiles
assez vaste, sinon la plus riche du monde ». Rassasiée, elle
change d’orientation pour se vouer pendant vingt ans à
l’étude de la bilharziose. Ce parasite qui cause une maladie
chronique, dont la prévalence atteint les 200 millions
d’habitants dans le continent noir. Celle-ci est classée
comme seconde endémie mondiale après le paludisme (la
malaria). Et c’est pour cela qu’elle s’insurge contre la
propagande faite ces jours-ci sur la grippe porcine dont
l’extension en Afrique est relativement limitée et dont le
risque demeure minime. « Courir après cette propagande nous
éloigne d’étudier d’autres maladies graves qui sont
enracinées dans notre continent et qui sont négligées par
les pays développés ». D’après Rashika El-Ridi, la
bilharziose doit être une priorité. « Le problème d’ordre
colossal que nous avons affronté durant notre recherche
était lié à la biologie de ce parasite qui vit dans les
capillaires sanguins : il se cache à la perfection ». Elle
n’hésite pas à nous illustrer sur papier, et de manière
intéressante, ces propos. « Notre premier objectif était de
découvrir son mécanisme d’évasion. Et par la suite, savoir
détecter sa présence pour pouvoir mettre fin à sa présence
». Rashika a enfin réussi à reproduire au laboratoire un
genre de protéines dont les molécules ont un rôle crucial
dans les interactions entre les cellules impliquées dans le
système immunitaire. Une raison pour laquelle elle a mérité
le prix L’Oréal-Unesco pour la femme et les sciences. C’est
un prix uniquement décerné aux chercheuses et dont la valeur
réside dans le fait que le jury est constitué de titulaires
du prix Nobel. « Je suis très reconnaissante au professeur
Mohamad Aboul-Ghar qui m’a nommée ». Chaque année, ce jury
octroie le palmarès aux 5 femmes scientifiques émérites
représentant les 5 continents. Rashika El-Ridi est choisie
dans cette 12e édition pour l’année 2010 représentant
l’Afrique et les pays arabes. « Le critère essentiel c’est
l’excellence, la qualité des travaux, leur importance pour
le progrès du savoir et leur importance aussi pour ce qui
concerne leurs applications utiles ou bénéfiques à
l’humanité », a expliqué Christian de Duve, prix Nobel en
science biologique et médicale et fondateur du prix
L’Oréal-Unesco. Des critères qui s’appliquent à Rashika El-Ridi
qui n’a cependant pas reçu de décoration locale. Bien plus,
on l’avait écartée de la liste des prix d’estime. « Je suis
indifférente ». Certes, à la suite de l’obtention d’un prix
mondial ? « Non, même avant, j’étais indifférente et je le
serai toujours », souligne-t-elle en toute assurance. « On
ne m’a jamais demandé quoi que ce soit. Je n’étais ni chef
de département ni doyenne. Alors, je me suis habituée à
rester dans l’ombre, voire dans l’obscurité. Une obscurité
plaisante et tranquille, qui me permet de travailler et de
me concentrer ». La recherche scientifique en Egypte
traverse, selon elle, une sorte de crise à cause de la loi
dirigeant les universités. Cette loi permet à de faux
chercheurs de garder leurs places à l’université, de toucher
leurs salaires sans faire aucune recherche. « Le problème
n’est pas lié au financement. C’est vrai que celui-ci n’est
pas une question facile, mais il n’est pas impossible. Il
faut toujours chercher des moyens à faire ses recherches.
Et, il existe même des organisations qui s’intéressent au
financement de la recherche scientifique ». Bref, elle
insiste sur le fait que cette loi doit être révisée et
légiférée de nouveau par les grands professeurs
universitaires. Ses projets d’avenir ? « Je travaille encore
sur le vaccin dans le but de le rendre beaucoup plus
efficace ». L’essentiel pour Rashika El-Ridi est de
poursuivre ses recherches et de garder cette aptitude de
faire face à toute entrave menaçant son monde à elle, sa
vie, la science.
Lamiaa Al-Sadaty