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 Semaine du 21 au 27 janvier 2009, numéro 750

 

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Choukri Azer, pneumologue, lauréat du Prix du combattant du mouvement des Egyptiens contre la corruption, lutte toujours, malgré son âge avancé, pour promouvoir les droits des citoyens.

Le médecin combattant

« Médecin des pauvres », c’est à ce titre qu’il occupe une place privilégiée dans le cœur des patients qui affluent à sa clinique, située rue Al-Galaa, pour trouver un soulagement des crises asthmatiques ou des maux que d’autres n’ont pas su clairement diagnostiquer.

Une dame lève la main vers le ciel pour le remercier. Après avoir souffert pendant une année de crises de toux qui l’emportaient dans un vertige sombre, elle a consulté le Dr Choukri comme un ultime espoir. Il a repéré un trou dans la paroi qui isole l’œsophage de la trachée et empêche les aliments de s’infiltrer dans les poumons, et lui a prescrit le traitement adéquat.

L’utilité pour les autres tient pour lui d’examen de conscience. « L’intelligence, le travail, la sécurité doivent servir à se solidariser avec les autres, partager leurs problèmes et les aider à les surmonter. Les efforts conjoints gomment les ombres, aplanissent les difficultés », proclame-t-il. Promoteur de la médicalisation à faible coût, il l’eut été toute sa carrière. « Médecin des pauvres », « Jongleur scientifique des pathologies difficiles » sont des attributs dont on le désigne. Il a été promis à ce destin depuis son jeune âge.

Fraîchement gradué de la faculté de médecine de Aïn-Chams, il fut dépêché à la campagne, dans un centre de soins du village de Maghagha. Il recevait le matin les pauvres villageois auxquels il dispensait des soins à coût modique et des médicaments gratuitement. Le soir était réservé aux clients riches qui revendiquaient le même traitement de faveur prodigué aux pauvres, mais Choukri s’y opposait. « Eux avaient le luxe de se rendre en ville en voiture pour se faire soigner. Mais les pauvres ne disposaient pas des mêmes moyens », explique-t-il. Il eut des détracteurs et des jaloux à la campagne, mais cela importait peu, car il avait la sympathie des pauvres.

La générosité de son âme et son esprit lucide lui permettaient de comprendre les besoins et les nécessités des autres. Bien que non spécialiste en gynécologie, il a pu guérir une jeune villageoise de stérilité, en lui prescrivant un traitement hygiénique pour limiter les sécrétions du vagin qui empêchaient l’ovulation. « Pour payer mes services, elle m‘a offert une oie et quelques œufs », dit-il sur un ton reconnaissant. « Il se rit des plaies celui qui n’a jamais reçu de blessures », estime-t-il, avec une lueur qui traverse soudainement son regard. Ce dicton traduit bien sa longue expérience de la souffrance.

Il fut initié très tôt aux idées de gauche par le discours de Salama Moussa, surtout son sens de l’équité et de la démocratie. A partir de ce discours, lui, un jeune replié sur lui-même, préoccupé par les problèmes des pauvres, car il l’était lui-même, s’invente une nouvelle jeunesse, un nouveau destin. « J’ai beaucoup appris de Salama Moussa. Je lui dois de devenir conscient que vivre c’est espérer, travailler, mais c’est aussi remettre de l’ordre », avoue-t-il.

A la faculté de médecine, il participe à la vie active de ses camarades et à la rédaction des journaux d’étudiants, où il expose ses idées de gauche. D’où son entrée en conflit ouvert avec les adeptes de la Confrérie musulmane qui s’acharnent à imposer leurs idées fanatiques. A cette époque, la Révolution n’était pas favorable à la gauche, surtout sous l’égide du président Mohamad Naguib, qui appuyait les agissements de la confrérie. La sympathie pour la gauche vaut à Choukri deux ans de prison ferme. Mais il n’est pas dissuadé pour autant. Il s’insurge de nouveau contre les visées extrémistes des Frères musulmans, qui menacent d’entraîner le pays vers une régression. Mais l’aversion du régime contre la gauche était manifeste et il fut écroué à nouveau pour quatre ans et empêché de passer son concours final en médecine.

Un brin de douceur anime sa vie, toutefois, avant sa détention. Il rencontre Souad, étudiante en droit, et s’en éprend. Elle devient sa muse, vulnérable mais refuge. Elle croit en lui et accepte sa vie de militant pour la justice et l’égalité entre les hommes. C’est différent, mais c’est bien difficile. En prison, Choukri rencontre Louis Awad, Lotfi Al-Kholi et Alfred Farag, et l’expérience le mûrit. Le récit de sa détention est une satire implacable contre les fanatismes religieux et politiques. Il fustige la veulerie de ceux qui obéissent passivement à l’autorité, en renonçant à leur faculté de juger. Ainsi, il est amené à formuler une opinion éclairée sur les rapports de force entre le régime et les Frères musulmans à l’époque présente. « Le système actuel réduit la liberté de participation politique de la population et empêche la reproduction de nouvelles élites dirigeantes, de peur de laisser la scène libre à la conquête des Frères musulmans. Or ceux-ci, une fois au pouvoir, vont pasticher de façon incroyablement identique le mode de gouverance du système qu’ils contestent », estime Choukri. « Seule la démocratie peut permettre au peuple de dessiner le contrepoint lucide de ces erreurs et ces servitudes au pouvoir », ajoute-t-il.

Raconter s’apparente pour lui à une ligne de crête entre vouloir dire et lâcher prise. Il s’abandonne au souvenir de sa première affectation à l’hôpital de pneumologie de Abbassiya, où il passe toute sa carrière. Après les années difficiles de détention et de dur labeur à la campagne, son beau-frère, Mounir Al-Tawil, médecin, décide de lui faire savourer les délices d’une vie détendue à la ville. Il le recommande auprès d’un ami, sous-secrétaire d’Etat au ministère de la Santé, qui lui propose d’exercer la psychiatrisation ou la pneumonie dans l’un des hôpitaux publics. Choukri opte pour la dernière et commence le travail à l’hôpital de Abbassiya. Là, il se penche sérieusement sur les problèmes des asthmatiques et invente un remède qui apaise leurs crises aiguës. Il associe une dose de cortisone au médicament qui leur est habituellement administré pour empêcher la détérioration des parois des poumons sous l’effet d’un traitement prolongé.

Découvrant la supercherie du monopole des grandes compagnies sur l’importation et la diffusion de médicaments coûteux, il fait promouvoir deux remèdes efficaces, fabriqués localement à faible coût, le Remactan et le Refaldine, qui épargnent aux malades une hospitalisation et des soins excessivement chers. Il devient réputé pour ses recherches dans ce champ médical, qui sont citées dans les conférences internationales, où il participe à ses propres frais. Lors d’un déplacement, il rencontre le patron d’une grande compagnie de produits pharmaceutiques, Hossam Mohamad Tawfiq, fils de Mohamad Tawfiq pacha, Wafdiste, qui sponsorise désormais ses voyages scientifiques. « J’étais assuré d’avoir accès aux trois repas quotidiens par mes amis riches qui m’y invitaient », dit-il sur un ton amusé. Sans cesse, une lueur discrète vient illuminer son regard qui capte la vie avec un appétit réjouissant comme s’il « bouffe du paysage ». Il publie ses recherches et un ouvrage sur le danger de fumer chez les jeunes et les femmes, les plus grands fumeurs. « Les jeunes fument pour afficher leur virilité et les femmes pour l’émancipation », explique-t-il.

Il trouve un humour décapant pour raconter une petite fable à sa petite fille, Nada, afin de la distraire d’une scène triste. Un jour, ils assistent à la torture d’un âne, qui tire leur carrosse, par son propriétaire. L’animal est blessé et Souad, l’épouse de Choukri, réprimande violemment son patron. Choukri improvise alors un conte pour rassurer sa petit fille. « J’étais un âne, lui dit-il, pauvre et malmené par mon patron. Je dormais dans la rue et me nourrissais peu. J’ai décidé un jour d’abandonner mon travail aux côtés de ma mère, épuisée par les charges de pastèques qu’elle devait transporter tous les jours. Je suis entré en médecine pour soigner les asthmatiques qui étaient aussi défavorisés que moi ». Ce conte prend le titre, J’étais un âne, et un ami de Choukri, caricaturiste à Al-Ahram l’y publie. L’ouvrage a eu un prix de littérature pour enfants.

Choukri a parfois les accents exaltés de son intelligence et du militantisme de ses jeunes années. A soixante-dix ans, il renoue avec le jeune militant qu’il était dans les années 1950. En 2004, il assiste désemparé à l’appropriation du gouvernement des fonds de l’Organisme des assurances sociales sous forme de crédits à peu d’intérêts et sans plan fixe de remboursement. « Le gouvernement s’est attribué ces ressources pour combler le déficit flagrant de son budget génital et financer ses structures fondamentales. Ainsi 92 % du financement de celles-ci étaient prélevées sur les pensions de retraite des citoyens modestes. Alors que Ahmad Ezz, et autres titans du marché, n’en fournissaient que 8 % », déplore Choukri. « Depuis, les voix se sont multipliées pour dissoudre l’Organisme des assurances sociales, pour supprimer officiellement le droit légitime de tout un chacun à l’assurance sociale », élucide-t-il. Il s’exerce dès lors à plein à même les flammes de l’événement pour dénoncer cette stratégie redoutable qui sert l’usurpation des fonds privés des cmitoyens par le gouvernement. Avec une dizaine d’amis, il crée le Comité populaire de la défense des fonds d’assurance sociale et des droits y correspondants. Ils agissent, luttent, témoignent et, toujours en mouvement, imaginent les libérations à venir. « Notre but est de fédérer savoirs et efforts pour faire promouvoir une idée de droit, de la nécessité de lutter pour l’obtenir et le défendre par tous les moyens. Grèves, procès, manifestations, mobilisation des médias, sensibilisation et information du public doivent servir ce dessein », proclame Choukri. Il pense qu’il est urgent de créer des réseaux et des associations pour débattre en toute liberté de ce qu’il faut faire pour la défense des droits. « Les ouvriers du textile de Mahalla, lorsqu’ils se sont ligués, ont obtenu certaines revendications. De même, les fonctionnaires des impôts fonciers ont fait reconnaître leurs droits en organisant un sit-in prolongé près de leur ministère », dit Choukri. Il évoque cette attitude de résistance propre aux Egyptiens. « Ce peuple est très lucide et conscient des problèmes et fardeaux dont on l’accable pour le tenir en silence. Les dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays depuis Mohamad Ali l’ont toujours privé de la possibilité d’apprendre et de se cultiver pour enrayer sa colère. Mais il résiste avec une endurance légendaire, et quand il décide d’obtenir un droit, il y plie ses dirigeants ». Ces activités militantes ont valu récemment à Choukri le Prix du combattant du mouvement des Egyptiens contre la corruption. Depuis, il reçoit un immense courrier de gens lui exposant leurs plaintes et lui demandant de les aider. Il compte le faire croyant fermement qu’« un changement de civilisation est en cours. Il s’inscrit dans un autre temps. Le temps de la justice et des droits acquis et défendus dans l’égalité et la démocratie ».

Amina Hassan

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Jalons

1935 : Naissance au Caire.

1964 : Diplôme en médecine de l’Université de Aïn-Chams.

1970 : Diplôme de recherches avancées en pneumologie.

1954-1959 : Incarcération dans les prisons Misr et Al-Whahat.

2000 : Prix de la littérature pour enfants pour le conte J’étais un âne.

2008 : Prix du combattant du mouvement des Egyptiens contre la corruption.

 

 

 




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