Gaza.
Face aux massacres israéliens qui ont fait de ce territoire
un enfer, des médecins égyptiens et arabes ont décidé
d’agir : aller sur le champ de bataille dans une mission
humanitaire risquée. Reportage avec un groupe des médecins
fedayins.
Jusqu'au bout du sacrifice
Gaza
soumise au feu. Les informations et les images, retransmises
par les médias, suscitent l’horreur et l’épouvante avec tous
ces morts et blessés palestiniens. L’Egypte et l’ensemble du
monde arabe expriment leur colère et l’opinion publique et
la société civile réagissent. Les médecins, les premiers qui
se sentent les plus concernés. Nombre d’entre eux ont décidé
de passer à l’acte. « J’ai imaginé mon enfant à la place
d’un petit, dont le sang coule ou la peau est brûlée dans
l’enfer de Gaza », dit le Dr Atef Al-Hadidi.
La décision est prise et l’action est menée à travers
l’ordre et l’union des Médecins arabes. Des centaines de
médecins ont rempli des applications pour rejoindre le corps
médical opérant à Gaza, incapable de faire face au nombre
croissant de blessés. Des volontaires qui ont été déçus, au
départ, par une interdiction de la part des autorités, mais
qui n’a pas beaucoup duré. Il leur a été enfin permis de
passer vers le champ de bataille, mais à leur
responsabilité.
Lundi ... Jour J. Dès que le soleil commence à se lever, la
scène devant le siège de l’ordre des Médecins, à la rue Qasr
Al-Aïni, est pleine d’émotion. Une trentaine de médecins de
différentes spécialités, soins intensifs, médecine
d’urgence, chirurgie, pédiatrie, ostéologie, urologie et
oto-rhino-laryngologie et de différents âges sont là. Ils
portent leurs bagages et se préparent pour un voyage vers
Gaza, laissant derrière eux leurs familles, enfants, leurs
cliniques et hôpitaux pour aller sur un territoire où les
combats font rage partout et où les massacres n’excluent
personne, même les ambulanciers. Cependant, les médecins,
avec à leur tête le Dr Mohamad Ghoneim, spécialiste en
urologie bien connu, semblent bien décidés, ils ont le
sang-froid comme des combattants dans une mission de guerre.
Et c’en est bien une. Et le danger de perdre la vie ? Ils
envisagent cet aspect avec une sorte de détermination et de
fatalisme.
S’en remettre à Dieu
«
Personne ne sait sur quelle terre il va mourir, et dans
quelles conditions : dans un accident d’avion ou de voiture,
sur la route Le Caire-Alexandrie ou même dans son lit. Etre
au service des blessés de Gaza est la moindre des aides »,
dit Ghoneim, dont la présence comme une figure bien connue
est un bon exemple et un moyen d’encouragement pour les
autres médecins, qui essayent de surpasser des sentiments
humains de crainte et d’inquiétude. « La mort est un fait
auquel on n’échappe pas, mais c’est de la honte de mourir
lâche », dit le Dr Rached Al-Sadeq, en ajoutant que les
affreux et horribles massacres que font les Israéliens ont
réveillé les citoyens arabes. Mohamad Saïd, jeune médecin en
colère du village Al-Chohadaa (les martyrs), au gouvernorat
d’Al-Ménoufiya. Il crie en pensant aux crimes de guerre sur
le territoire de Gaza : « Ce qui se passe sur la bande de
Gaza contredit toute raison ou tout sens humain. Sous quelle
logique on bombarde des enfants devant les yeux d’un monde
qui prétend être civilisé ? Si nous ne pouvons pas défendre
ces civils massacrés par les armes, c’est la moindre des
choses que d’aider les blessés, un devoir que nous
présentons en toute humilité », dit le Dr Saïd, spécialiste
en soin intensif et médecine d’urgence. Et avant que le bus
ne commence son voyage vers Rafah, dernière station avant de
passer à l’autre côté pour entamer leur mission aux
territoires des risques à Gaza, les médecins saluent
quelques membres de leurs familles et amis qui sont venus
dire adieu à leurs chers. Inquiétude, soutien, larmes et
crainte, des différentes émotions règnent dans le lieu qui à
peine commence à voir le soleil du jour. Un jour qui n’est
pas comme les autres pour les familles de ces médecins
fedayins.
Tareq Salem, un homme d’une quarantaine d’années, n’arrive
pas à contenir ses larmes de voir son frère partir vers une
terre de tous les dangers. « Il a pris seul et soudainement
sa décision. Il est mon frère unique, cependant, je ne peux
pas lui interdire de participer à alléger les peines des
victimes des massacres de Gaza », dit-il. Haïssam, ingénieur
et membre de famille d’un des médecins combattants, explique
qu’il espérait être médecin pour joindre cette caravane
médicale.
Une question de volonté
Et tiraillé entre les adieux des membres de familles qui
connaissent la mission et la crainte de la réaction de ceux
qui ne l’ont pas encore appris, les médecins essayent de
préserver une volonté de fer. « Il n’est pas question de
reculer, c’est un devoir que notre métier et notre
conscience nous dictent, sinon, nous n’aurons jamais la
conscience tranquille face à cette situation dramatique dans
la bande de Gaza », dit le Dr Tamer Al-Sobki qui explique
qu’il a été très content après avoir reçu la permission de
l’union pour se préparer au voyage. « Je n’ai pas pensé aux
risques et j’ai expliqué à mon enfant de 9 ans qui suivait,
à la télé, les massacres des enfants palestiniens que je
partirais là-bas pour essayer d’alléger leurs peines »,
ajoute Tamer.
Et le voyage vers Rafah n’a fait que commencer. Les médecins
passent le temps entre les coups de fils, la lecture du
Coran ou les journaux pour suivre les nouvelles de la guerre
à Gaza et aussi à échanger des discussions pour remonter le
moral parmi le groupe. « Ne t’inquiète pas, je suis bien,
nous sommes en route, je vais t’appeler avant de passer en
Palestine. Tu sais qui est avec nous, c’est le Dr Mohamad
Ghoneim, je n’arrive pas à le croire », dit l’un des
médecins sur son portable. Un autre reçoit un appel du Dr
Hossam Al-Basrati, médecin qui est déjà passé à la bande de
Gaza il y a deux jours. « Il vous salue et vous encourage »,
dit le médecin à ses collègues. Une ambiance d’enthousiasme
règne et surtout quand un autre médecin, comme Khaled Hefni,
leur raconte qu’il est venu d’Arabie saoudite pour des
vacances de quelques semaines, laissant sa femme et ses
enfants. « Cependant, face à ce devoir d’apporter le secours
à nos frères en Palestine, j’ai décidé de joindre la
caravane sans plan préétabli. Je ne sais pas ce qui se
passerait avec mon permis de travail et mon visa. Tout ce
qui est important est de sauver un peuple en danger, dont
nous ne sommes pas loin », dit Khaled.
En fait, la plupart du groupe des médecins n’a pas eu le
temps de bien préparer son voyage. Le contenu des valises le
prouve. Quelques vêtements, un Coran, et comme le dit le Dr
Rached, quelques appareils médicaux, rares et qui sont
utilisés dans les chirurgies très compliquées et bien sûr
une caméra. Dr Rached explique qu’il a eu une expérience en
traitements des blessés palestiniens hospitalisés à
l’Institut Nasser. « Souvent, ils sont atteints d’une
manière à les rendre paralysés aux bras ou aux pieds. Les
Israéliens visent à paralyser les Palestiniens s’ils ne
meurent pas. Aujourd’hui, nous entendons parler d’armes
chimiques et des bombes phosphoriques qui rendent les corps
comme momifiés ou qui font des blessures internes difficiles
à traiter », rapporte le Dr Rached, en ajoutant qu’il a
rencontré des Palestiniens gravement blessés qui veulent
guérir pour pouvoir rapidement retourner à Gaza. Des
situations qui l’ont poussé à participer à cette caravane.
Une décision que sa femme a encouragée, tandis que son
beau-père et son frère aîné l’ont qualifiée d’impulsive.
Entre peuples et gouvernements
Et dans le point d’inspection de Peluse, les médecins ont eu
la peur au ventre qu’ils soient interdis par la sécurité et
que leur mission soit interrompue. Cependant, après environ
une demi-heure d’attente et des mesures de sécurité, ils ont
passé. Des mesures qui inquiètent Mohamad Al-Guizawi et
Mohamad Saïd, qui sont déjà allés à Rafah et ont passé
quatre jours sans pouvoir accéder au terminal. Une fois
arrivé à Arich, une période d’attente est obligatoire pour
rencontrer les coordinateurs, qui se sont assurés que tous
les médecins ont leurs passeports et aussi pour rencontrer
d’autres médecins qui joignent la caravane dont trois
Yéménites.
Et il semble que le drame de la bande de Gaza a uni le
peuple arabe, même si elle n’est pas arrivée à le faire avec
les chefs d’Etat. En plus des Yéménites, il y a eu un
Jordanien et un Syrien vivant au Danemark. « Pas d’espoir
dans les prises de positions officielles, alors il faut que
les peuples agissent », dit Mohamad Al-Bachir, Jordanien.
Quant à Guihad, le Syrien, il confie qu’il a décidé de venir
au lieu de passer le temps à pleurer devant les scènes
terrifiantes diffusées dans les télés.
Des heures passent et le voyage touche à sa fin, cependant,
après plusieurs arrêts pour les mesures d’inspection, le
premier jour est passé sans que la caravane ne passe et les
médecins devraient attendre le lendemain pour demander la
permission de passer par le terminal. Un lendemain qui
coïncidait avec la visite du fils du président et secrétaire
général du Comité des politiques au PND, Gamal Moubarak, à
Rafah. Une visite qui a bloqué le passage des médecins
pendant des heures. Heures d’attente qui les font approcher
du champ de bataille un jour où les affrontements qui se
sont déroulés étaient des plus violents. Les explosions et
les tirs sont entendus et vus à Rafah. Les habitants des
régions très proches des frontières, notamment Al-Barahma,
Salaheddine et Canada ont été effrayés par les explosions
qui ont causé de grands dégâts dans leurs maisons. Des tirs
et des raids israéliens ont traumatisé les enfants de Rafah,
qui ont peur d’être blessés par un des fragments d’obus qui
tombent chez eux.
Une fois la visite officielle terminée, la caravane retourne
au terminal pour commencer les procédures du passage vers
Gaza. Et voilà, l’entrée est autorisée. Il faut simplement
terminer les procédures : 31 Egyptiens, en plus de deux
Bahreïnis et un Syrien du Danemark. Cependant, les Yéménites
ont été interdis, en attendant d’obtenir la permission de
leurs ambassades. Une condition imposée par les autorités et
qui doit s’appliquer sur tout étranger. Un obstacle qui
entrave le passage des trois jeunes médecins jordaniens, qui
sont venus avec leurs bagages pour passer à l’autre côté et
offrir leur aide et sans même contacter personne.
Des coups de fils s’échangent ici et là. « ça y est, c’est
confirmé, j’ai décidé, pas de temps pour la discussion, nous
attendons le permis de passer », dit l’un des médecins à sa
femme qui essaye de le convaincre de retourner en versant
des larmes. Le temps passe et la distance qui sépare les
médecins combattants se réduit. L’un demande à sa femme de
bien soigner les enfants, l’autre passe le temps à prier ou
à lire du Coran, tandis que certains essayent d’alléger la
tension en échangeant des anecdotes. Les raids israéliens
s’intensifient et les explosions qui font trembler la terre
semblent les préparer à leur difficile mission dans la terre
de guerre. Une explosion qui coïncidait avec la dernière
phrase que le Dr Khaled a écrite dans la déclaration qu’ils
doivent signer : « Je déclare moi le médecin x, que je passe
aux territoires palestiniens à ma responsabilité, malgré les
avertissements des autorités égyptiennes et malgré les
dangers », une chose qui m’a fait tenir à ma décision. « Ca
vaut le sacrifice », dit Khaled qui critique cette
séparation entre la position de l’Etat et celle du peuple. «
Il faut que le ministre de la Santé annule cette
déclaration. Nous aidons le peuple palestinien au nom de nos
pays. Pourquoi donc signer une telle déclaration ? », se
demande-t-il. Environ trois heures se sont écoulées avant
que les agents de sécurité n’annoncent que tout est prêt.
Une vague d’émotions règne entre les médecins, dont les uns
prosternent pour remercier Dieu, tandis que les autres
échangent des félicitations d’avoir l’honneur de briser
l’embargo de Gaza. Montés dans le bus venu de l’autre côté,
entourés par les agents de sécurité du terminal qui leur
souhaitent une mission réussite et des avertissements de
prendre soin d’eux-mêmes. Sobhi, chauffeur palestinien,
explique qu’il les emmènerait à l’hôpital d’Abou-Youssef
Al-Naggar à Rafah, où ils seront répartis sur les autres
hôpitaux, Al-Chefaa et Khan Younès. Et le bus sort du
terminal pour une mission bien risquée, tandis que les
ambulances affluent emmenant de nouveaux blessés pour les
transporter aux hôpitaux égyptiens. Un va-et-vient
douloureux qui fait déchirer les cœurs et que seul un
cessez-le-feu pourrait l’épargner.
Doaa
Khalifa