Vice-président d’une agence de l’Onu spécialisée dans la
bonne gouvernance économique, le Jordanien
Talal Abou-Ghazala
évoque la situation dans le monde arabe concernant la
moralisation des pratiques économiques, la lutte contre la
corruption et le respect des droits d’auteur.
« Lutter contre la corruption devrait aussi s’attaquer aux
corrupteurs dans les pays développés »
Al-ahram
hebdo : Vous avez co-présidé une conférence, qui s’est tenue
au Caire le 11 janvier, sur la fondation d’une Société de la
connaissance afro-asiatique. En quoi consiste cette idée ?
Talal Abou-Ghazala :
L’idée de fonder un réseau afro-asiatique créant des canaux
de contacts entre tous les partenaires de la société dans
les Etats africains et asiatiques vise à profiter des
technologies de communication dans le but du développement
économique, dans le cadre des politiques gouvernementales
actuelles. C’est ainsi que nos objectifs ont concordé avec
ceux de l’Organisation de solidarité des peuples
afro-asiatiques qui siège au Caire et qui dirige cette
initiative en coopération avec le Groupe arabe de management
et d’administration que je préside. La conférence a
encouragé des experts africains et asiatiques à se concerter
sur différents axes comme la création d’un environnement
propice, la fondation de canaux de contacts, l’échange entre
les sociétés afro-asiatiques, etc.
— En 2007, vous avez été nommé par le secrétaire général de
l’Onu, Ban Ki-moon, comme vice-président de Global Compact,
une agence dépendant de l’Organisation internationale.
Quelle est la mission principale de cette institution
spécialisée dans la bonne gouvernance ?
— Cette agence est l’unique institution directement présidée
par le secrétaire général de l’Onu. L’objectif essentiel de
l’institution est de renforcer les principes sur lesquels
l’Onu est fondée, à l’exception des principes concernant la
politique et la sécurité et autres thèmes de discorde.
L’institution à travers 10 axes défend la bonne gouvernance
dans le monde des affaires en vue de défendre les droits des
employés et des ouvriers, et ceux de l’environnement. Elle
œuvre aussi pour la lutte contre la corruption. Dans cette
institution, chaque Etat membre doit présenter un rapport
annuel concernant son engagement aux critères fixés, comme
par exemple celui réclamant que le tiers du personnel soit
constitué de femmes.
— Où en sont les entreprises arabes concernant la lutte
contre la corruption ?
— La lutte contre la corruption se concentre sur deux axes.
J’ai dernièrement expliqué au cours d’un sommet de Global
Compact qu’il ne fallait pas se concentrer seulement sur les
compagnies corrompues dans les pays pauvres en oubliant les
corrupteurs dans les pays riches. J’ai aussi dit que celui
qui accepte le pot-de-vin doit être criminalisé une fois,
tandis que celui qui le propose est criminalisé deux fois,
puisqu’il a proposé une corruption et encouragé un autre à
l’accepter. Les pays développés ont favorablement accueilli
cette idée, puisqu’elle aide à déterminer les
responsabilités. Donc quand la corruption concerne les
responsabilités financières, elle se transforme en phénomène
international. La région arabe n’est pas celle où il y a le
plus de corruption, or nous la voulons la plus propre de
toute forme de corruption. C’est de là qu’est venue l’idée
de la fondation de centres affiliés à notre institution dans
la région arabe. Nous avons commencé par l’Egypte et la
Jordanie, et récemment la Syrie.
— Vous êtes l’un des fervents défenseurs des droits d’auteur
dans le monde arabe. Pourquoi ces droits ne sont-ils pas
respectés dans les pays arabes ?
— Il n’est plus permis de continuer de nous autoflageller et
d’adresser une critique injuste à la situation des droits
d’auteur dans le monde arabe. J’ai eu l’occasion de
témoigner par moi-même du processus de mise en place des
systèmes des droits d’auteur dans le monde arabe, depuis 40
ans. Je peux dire qu’il existe dans tous les pays arabes
sans exception des lois et des législations les protégeant.
Il existe également des verdicts qui octroient les droits à
ceux qui les méritent dans tous les pays arabes. A travers
ma présidence de l’Institution arabe pour la protection des
droits d’auteur, j’ai contribué à développer les
législations et à présenter les consultations nécessaires
dans ce domaine. Pour défendre les droits d’auteur dans le
monde arabe, nous devons mettre en lumière que notre nation
arabe est la victime et non pas l’agresseur. Les produits
imités nous parviennent d’autres pays et sont vendus dans
nos marchés, ce qui porte préjudice à nos produits et à nos
commerçants. Je voudrais mettre l’accent sur le fait qu’il
n’y a pas de recul au niveau des droits d’auteur, au
contraire, il y a davantage d’intérêt et de respect portés à
leur égard.
— Quels sont les mécanismes qui nous manquent pour
développer l’intérêt accordé aux droits d’auteur ?
— Il y a des facteurs qu’il faudra prendre en considération,
dont la sensibilisation à l’importance des droits
intellectuels, puisque ce sont ces droits qui encouragent
l’investissement dans la créativité. Et dans le cas
d’absence de la protection, les intellectuels et les
créateurs arabes sont découragés. Nous avons donc besoin de
faire parvenir aux publics que les droits intellectuels
constituent une nécessité nationale aidant au développement.
Il est également nécessaire de parvenir à des législations
qui doivent être continuellement développées. Il est de même
nécessaire de fonder des tribunaux spécialisés dans le
domaine des droits d’auteur, de façon à ce qu’il y ait des
juges et des avocats spécialisés dans ce domaine. De plus,
les systèmes de surveillance et de contrôle doivent être
développés, puisque les lois qu’ils appliquent ont été
promulguées depuis plus de 10 ans et les amendes fixées sont
trop faibles. C’est pour cela que nous œuvrons actuellement
avec un grand nombre de pays arabes pour parvenir à des
accords de coopération avec les douanes, afin de les aider à
détecter les produits qui violent les droits intellectuels.
En ce qui concerne les marques déposées, nous avons fondé
une banque d’informations qui comprend plus d’un million de
marques déposées dans la région arabe. C’est ainsi qu’il est
devenu possible par des moyens électroniques de découvrir
tout viol de ces marques. Dans ce contexte, nous
encourageons les créateurs à confectionner des marques
commerciales tout à fait nouvelles et à s’éloigner des
marques déjà déposées.
— Quelles seront les répercussions de la crise économique
mondiale sur les économies arabes ?
— Il ne s’agit pas seulement d’une crise. Il s’agit d’une
étape de changement radical dans les régimes financiers,
politiques, économiques et monétaires et également dans les
blocs et les puissances économiques. Ce changement aura des
répercussions dangereuses sur les pays développés en premier
lieu. Elles varieront sur les autres pays selon leur lien
avec les économies puissantes, notamment l’économie
américaine. Ce changement nécessite une mutation dans les
notions sociales. Le capitalisme libre se transformera en
capitalisme de l’Etat, c’est-à-dire soumis à des politiques
déterminées par l’Etat.
Les fondements des économies arabes sont en bon état. Dans
ce contexte, il est indispensable de faire la différence
entre l’économie réelle et l’économie marginale ou
l’économie virtuelle, c’est-à-dire l’économie basée sur le
marché des actions. En effet, les transactions dans les
Bourses n’ajoutent rien aux économies nationales. Il est
certain que les pays arabes seront influencés par les
changements économiques dans les pays développés. Les
changements dans les pays développés mèneront au transfert
dans les pays arabes de la stagnation à la récession et de
la hausse des prix à la récession des ventes. Par
conséquent, les industries basées sur l’exportation vers les
marchés américains et européens seront influencées par la
récession à cause de la baisse de la demande sur les
produits et les services. Par ailleurs, les mutations
économiques mèneront à l’apparition de nouveaux blocs
économiques. Le monde deviendra donc un monde aux multiples
blocs économiques, aux multiples monnaies principales, aux
multiples centres monétaires et aux multiples régimes
financiers alors qu’il n’y avait jusqu’à présent qu’un seul
centre, les Etats-Unis. De nouveaux pôles apparaîtront comme
la Chine, la Russie, l’Inde, la Corée et le Brésil.
Ce nouvel ordre mondial multipolaire aura comme conséquence
l’affaiblissement de l’arrogance d’Israël qui se base sur le
soutien absolu de l’unique pôle américain. En effet,
l’économie israélienne se base essentiellement sur ses
exportations vers les marchés occidentaux. Par conséquent,
son économie sera influencée par la récession des économies
occidentales. Je pense que l’équilibre des forces
économiques dans la région reviendra à des fondements
naturels et logiques. C’est ainsi que l’économie égyptienne
devra prendre la tête à la place d’Israël qui se base sur
les économies d’autrui. Il surviendra donc un changement
géo-économique dans la région qui redonnera à l’Egypte son
rôle pionnier.
Propos recueillis par
Magda Barsoum