Al-Ahram Hebdo, Visages | Golo
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 Semaine du 23 au 29 avril 2008, numéro 711

 

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Visages

Golo, le dessinateur français de bande dessinée, installé en Egypte depuis belle lurette, a vu le pays changer. Economie du marché et islamisme, les anecdotes prolifèrent quand même. Et lui, il a pu saisir les traits d’humour que les Egyptiens affectionnent.

Le fils de la nokta

Voilà 35 ans que l’Egypte est croquée, sketchée, mise en couleurs et étudiée par la plume conquise de Golo, dessinateur de bande dessinée de talent. Lorsqu’il découvre Le Caire dans les années 1970, il réalise des dessins humoristiques et des planches pour les plus grandes parutions satiriques françaises de l’époque : Charlie Hebdo, Hara Kiri et Zoulou n’en sont que quelques exemples. Sa découverte du Caire, un peu accidentelle, puisque son entreprise lui offre un billet d’avion, va changer fondamentalement le cours de son existence. De voyage en voyage, il accumule divers sketches, croquis, notes, impressions sur des tranches de vie cairotes qu’il extrait des quartiers populaires, au détour d’une conversation … Car l’échange verbal, et sa portée en Egypte, est ce qui l’a ancré dans cette ville. « Au début, lorsque j’ai découvert Le Caire, alors que je commençais à balbutier, à grappiller des mots à droite et à gauche, c’est l’importance de la parole, et des nokat (anecdotes) qui se racontaient continuellement qui m’a frappé. Les gens achetaient le journal tous les jours non pas pour lire les articles, « de toute façon, on sait que tout ce qui est écrit sort de la bouche du gouvernement », disaient des amis, mais pour regarder le dessin humoristique qu’il y avait dans le journal, car là passait une critique ». Lui qui fréquentait un milieu interlope, à la fois populaire et intellectuel, connaissait ces dessinateurs de presse, dont l’inspiration naissait entre un souffle de chicha dans les fumoirs et une gorgée de qahwa mazbout dans les cafés crasseux, à l’écoute du pouls du peuple. Et ce peuple ensuite se nourrissait de ces dessins, dans un cercle créatif sans fin. « Au bout du compte, raconte Golo, pour être considéré comme Egyptien, et cela peu importe l’origine, il faut être capable de saisir la nokta au vol, ce qui implique une bonne connaissance du dialecte, mais aussi de la société et de ses référents humoristiques ». La réalisation artistique majeure de Golo est à n’en pas douter la mise en images de Mendiants et Orgueilleux d’Albert Cossery, le célèbre écrivain égyptien. « J’ai lu pour la première fois le roman d’Albert Cossery à l’âge de 20 ans, raconte le dessinateur. C’est un livre qui m’a toujours suivi, dans lequel je me suis replongé à de nombreuses reprises et que j’ai fréquemment offert autour de moi, sans imaginer qu’un jour je le mettrais en images. Il y a quelques années, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai laissé une note à Albert Cossery à son hôtel, dans laquelle je lui annonçais mon désir de transformer son roman en bande dessinée. Il m’a contacté le soir même, s’est montré enchanté par ce projet et m’a laissé carte blanche pour réaliser cette bande dessinée. Il m’a dit alors : Le livre existe, de toute façon, tu ne lui retireras jamais son essence, alors fais ce que tu veux. Ce qui ne m’a pas empêché de lui montrer régulièrement les planches que je réalisais ».

Alors que les souvenirs de la genèse de Mendiants et Orgueilleux et que des bribes de discussions avec Albert Cossery remontent à la surface, ses sourcils fournis, jusqu’ici très remuants, laissent place au calme ravi du dessinateur. Qui entreprend ensuite de dévoiler les différentes étapes qui mènent à la naissance d’une bande dessinée. « Je travaille d’une façon totalement anarchique », ajoute-t-il, avec un plaisir certain à avouer ce trait de caractère. « Je me ballade au Caire, à la recherche de traces du passé qui resurgissent dans les vieilles affiches peintes à même les devantures d’immeubles. Les pubs sont un bon moyen de restituer la véracité d’une époque. Bien sûr mes lectures et les discussions que j’ai pu avoir avec mes amis égyptiens plus âgés m’ont beaucoup aidé à retranscrire Le Caire des années 1945, où se déroule l’action de Mendiants et Orgueilleux. Mais il y a encore de nombreux aspects de la vie quotidienne populaire qui n’ont pas été trahis par le temps ». De fait, les vendeurs de patates douces braisées courent toujours les rues qui, elles, résonnent encore aujourd’hui des cris alléchants des marchands de fruits. « Je fais donc une quantité de dessins, d’impressions sur le vif, de sketches, qui une fois remis dans un ordre moins arbitraire, me permettront de suivre la trame de l’histoire ». Une fois que les éléments principaux, les personnages, les touches de couleur et les notes d’ambiance sont réunis, Golo entame un laborieux travail de découpage, de collage … Une organisation qui, jusque-là, l’avait laissé en paix. Deux ans auront été nécessaires à cet artiste à la ligne souple et aux couleurs chaleureuses pour donner une texture physique aux mots de Cossery. Mots inviolés d’ailleurs, puisque l’intégrité des dialogues aura été conservée par le dessinateur. Gohar est le personnage principal de Mendiants et Orgueilleux. Cet homme à la soixantaine affirmée est un ancien professeur de philosophie reconverti en miséreux par choix. Son intelligence vibrante et son humour piquant en font un personnage respecté et adulé, dans le quartier populaire où il a élu domicile. « Gohar a naturellement pris les traits d’un très bon ami à moi », explique Golo. « Il appartenait à cette même veine de personnages, cela a donc été très facile pour moi de le retranscrire ».

Il interrompt de temps à autre sa narration pour faire rougeoyer le bout d’une Cleopatra extraite du célèbre paquet d’or mou posé sur la table, ou pour tremper ses lèvres dans un thé brûlant.

Amoureux de l’Egypte depuis 30 ans, installé depuis 15 ans, l’artiste a pu constater les nombreux changements qui ont ébranlé la société égyptienne. « A mon niveau, c’est à la fin des années 1970 que sont intervenues les premières modifications profondes, avec le passage de cette Egypte nassérienne, dite socialiste à l’entrée dans une économie de marché. Puis dans les années 1990, la montée de l’islamisme change encore le visage du pays. Vivre au Caire devient de plus en plus dur, la ville est soumise à l’existence des bagnoles plus qu’à celles des individus, les gens sont stressés pour des raisons économiques. Il n’y a plus cette façon de vivre qu’il y avait autrefois ». Témoin de la première grande manifestation populaire contre la faim en 1977, Golo érige des passerelles avec celles qui se sont déroulées il y a quelques jours. « En Egypte, on supporte, on supporte et on supporte encore, jusqu’à ce qu’une déflagration d’une violence inouïe que rien ne pourra contrôler se produise. Mais le pays n’a pas, de par son histoire relativement peu révolutionnaire, de cadre permettant d’exercer une contestation active. Rien ne permet pour l’instant la mise en branle d’une critique concrète », constate le dessinateur, atterré. « Par contre, la critique est très présente dans le langage, dans les traits d’humour dont les Egyptiens foisonnent … ».

C’est sur cette Egypte là, et celle de ses souvenirs que Golo est en train de plancher. Mes mille et une nuits est le nom de son prochain album en préparation. On y trouvera un chassé-croisé de ses souvenirs du Caire depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, piqueté de rencontres avec des personnages qui contribuent à la magie de la ville, on pourra aussi y trouver ses dérives en son sein … le tout en parallèle avec ses lectures. Après 35 ans, l’Egypte, et surtout Le Caire, continue de pousser sa plume vers des lignes souples et des dialogues emprunts d’humour et parfois de désespoir. Golo, qui réside à temps partiel « dans une maison à moitié cassée à Sakakini au Caire, ce qui me va très bien ! », ajoute-t-il l’œil rieur, vit la majeure partie du temps à Gourna, un petit village coincé entre la Vallée des rois et celle des reines, non loin de Louqsor. Golo a visiblement planté ses racines au plus profond de la terre égyptienne … et c’est tant mieux.

Louise Sarant

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Jalons

1948 : Naissance au Pays Basque, sud de la France.

1973 : Première visite au Caire.

1991 : Sortie de la BD Mendiants et Orgueilleux.

1993 : Installation en Egypte (il vit à Gourna depuis 2001).

2003 : Sortie de Les Couleurs de l’infamie et Les Carnets du Caire I.

2005 : Les Carnets du Caire II.

2007 : B Traven, portrait d’un anonyme célèbre.

 

 

 




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