Réclamée
par la majorité chiite, mais jugée prématurée par Washington,
la tenue d'élections en Iraq reste problématique. Pour
tenter de trouver une solution à cette question épineuse,
qui inconforte les Américains, l'Onu a dépêché en Iraq
une équipe d'experts chargés d'étudier la faisabilité
d'élections directes immédiates dans ce pays pour la mise
en place d'une Assemblée transitoire. Les responsables
de la coalition dirigée par les Etats-Unis estiment impossible
d'organiser des élections démocratiques et régulières
d'ici à la fin juin, date prévue pour le transfert de
la souveraineté aux Iraqiens, dans un pays marqué par
des décennies de dictature et sans infrastructure électorale.
Aussi ont-ils proposé un scrutin indirect. Mais le principal
dirigeant chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, a remis
en cause le plan mis en place le 15 novembre entre la
coalition et le Conseil de gouvernement en exigeant des
élections générales directes.
Arrivée
samedi dernier à Bagdad dans le but de trouver une issue
à cette question, l'équipe, composée de neuf experts onusiens
et conduite par Lakhdar Brahimi, conseiller spécial du
secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, a rencontré le
Conseil de gouvernement transitoire iraqien, plusieurs
responsables iraqiens, dont le président en exercice du
Conseil de gouvernement, Mohsen Abdel-Hamid, membre du
Parti islamique iraqien, ainsi que les 25 membres de l'exécutif
iraqien, selon le porte-parole du conseil, Hamid Al-Qifaï.
Jalal Talabani, le dirigeant de l'Union patriotique du
Kurdistan (UPK), a également été sollicité. Brahimi s'est
aussi entretenu avec le chef du Conseil Suprême de la
Révolution Islamique en Iraq (CSRII, chiite), Abdel-Aziz
Hakim, qui a profité de la visite des experts de l'Onu
pour plaider en faveur de la tenue rapide d'élections.
A l'issue de la rencontre, le chef du CSRII a ainsi affirmé
avoir présenté une « étude scientifique »
pour lui prouver la faisabilité d'élections directes rapides.
« Nous avons présenté de nombreuses preuves montrant
que la tenue d'élections était possible », a
insisté Abdel-Aziz Hakim, qualifiant la rencontre avec
Brahimi de « réussie ».
M. Brahimi,
conseiller spécial du secrétaire général de l'Onu Kofi
Annan, a affirmé de son côté que le but de sa mission
était « d'aider les frères iraqiens à mettre un
terme à l'occupation et regagner la souveraineté de la
meilleure façon possible ». Concernant un éventuel
retour de l'Onu en Iraq, Brahimi est resté très évasif.
« Les Nations-Unies sont présentes en Iraq, mais
pour des raisons de sécurité, certains ont dû partir,
mais nous avons toujours des collègues iraqiens sur place ».
L'équipe de l'Onu avait auparavant souligné « la
volonté de l'Organisation internationale de jouer un rôle
important en Iraq », selon le porte-parole du
conseil, Hamid Qifaï. Ce dernier a estimé nécessaire le
retour de l'organisation internationale. « Nous
avons besoin d'elle pour nous aider dans la tenue des
élections si elles sont possibles, et pour l'élaboration
de la Constitution », dont la rédaction doit
débuter en mars 2005, a-t-il précisé.
Toutefois,
il semble clair que la mission de l'Onu n'est parvenue
à aucun résultat concret sur la tenue d'élections. D'autant
plus qu'il semble qu'au sein même du Conseil transitoire,
il n'y ait pas d'unanimité à ce sujet. Hamid Majid Moussa,
chef du Parti communiste, membre de cette instance, a
déclaré lundi que la majorité du Conseil de gouvernement
transitoire est favorable à un report des élections après
le transfert de la souveraineté aux Iraqiens. « La
majorité (du Conseil) prône la patience afin que
les élections soient bien préparées aux niveaux technique,
politique et sécuritaire », a affirmé Hamid Majid
Moussa, au sujet de la réunion qui a eu lieu la veille
avec la délégation de l'Onu. Mais, a-t-il ajouté, « cette
question ne peut être résolue par une majorité et une
minorité. Il doit y avoir un compromis, et c'est l'objectif
de la mission de l'Onu et des efforts déployés par les
différentes parties iraqiennes ». Selon lui,
ceux qui veulent des élections immédiates et ceux qui
souhaitent qu'elles soient retardées « discutent
entre eux pour aboutir à un consensus. Alors, il ne faut
pas penser en termes de majorité et de minorité ».
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D'autre
part, à Washington tout comme à Londres, la question des
Armes de Destruction Massive (ADM) suscite toujours un
débat houleux. Le président américain George W. Bush a
défendu dimanche la décision d'envahir l'Iraq en affirmant
que c'était « une guerre par nécessité »,
tout en admettant qu'aucun stock d'ADM n'avait été découvert.
Interrogé au cours d'une interview sur la chaîne de télévision
américaine NBC, Bush a déclaré qu'il « s'attendait
à découvrir des armes », en assurant qu'il
avait pris sa décision sur la base « des meilleurs
renseignements possibles ». Le président américain
est allé plus loin pour défendre sa cause en affirmant
que même si aucun stock d'armes non-conventionnelles n'a
été découvert, le régime iraqien « avait la capacité
de produire une arme (de destruction massive) et
par conséquent de laisser cette arme tomber entre les
mains d'un réseau terroriste », a-t-il dit.
En même temps,
l'ancien chef des inspecteurs de l'Onu, Hans Blix, a accusé
le gouvernement de Tony Blair d'avoir « dramatisé
la situation comme un vendeur qui exagère l'importance
de sa marchandise », en affirmant, dans un dossier
publié en 2002, que l'Iraq pouvait déployer des ADM en
45 minutes. Les déclarations de M. Blix risquent de réalimenter
la polémique en Grande-Bretagne sur ce dossier à charge
publié en septembre 2002 par le gouvernement britannique,
pour convaincre les députés et l'opinion publique de la
nécessité de partir en guerre contre l'Iraq. Tony Blair
a lui-même relancé la controverse mercredi en concédant
qu'il ne connaissait pas, avant le vote du 18 mars 2003
à la Chambre des communes autorisant la guerre en Iraq,
la nature exacte des ADM présentées dans ce dossier.
Face à la
pression, Londres comme Washington avaient annoncé la
semaine dernière la mise en place de commissions chargées
de faire la lumière sur la question des ADM iraqiennes,
dont la menace présumée avait en grande partie justifié
l'intervention militaire américano-britannique en Iraq.
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