Pierre Zalloua,
43 ans, généticien et vice-doyen de la faculté de médecine à
la Lebanese American University (LAU) ainsi que professeur
associé adjoint à Harvard, remonte le temps à la recherche
de l’origine des populations, dont la libanaise.
Les
gènes en histoires
S’il
faut un peu de tout pour faire un monde, il faut
certainement beaucoup de savoir pour faire un savant. Car la
connaissance ne vient pas comme la fortune et le vieil
adage, en dormant, mais plutôt en « bûchant » dur, très dur.
« Fais ce que dois, advienne que pourra », dit-on. Telle est
la devise du Dr Pierre Zalloua.
Jeudi 30
octobre à 21h30, Marcel Ghanem, célèbre animateur du
talk-show diffusé sur la chaîne LBC, présente dans le cadre
de son émission un jeune chercheur, « passionné de génétique,
d’archéologie et d’histoire », selon la revue scientifique
américaine de renom, la National Geographic. Il s’agit du Dr
Pierre Zalloua, professeur associé adjoint de
l’Environmental health à Harvard, School of public health,
aux Etats-Unis. Il n’hésite d’ailleurs pas à le clamer haut
et fort : « La clé du succès ? Le travail, le travail et
rien que le travail ».
Ceci dit,
le voilà qui s’attelle à la rude tâche de l’acquisition de
la connaissance. Sa licence de biologie en poche, il
s’embarque, à 21 ans, à destination des Etats-Unis, où il
prépare une maîtrise à l’Université San José de Californie
et obtient une bourse d’étude pour un doctorat en génétique
récompensant ses efforts et son travail. « Ce sont les plus
belles années de ma vie, ces études de doctorat aux
Etats-Unis. J’ai appris le vrai sens de la vie, entouré de
populations venues de partout ». C’est à ce moment-là que
l’envie de faire de la génétique le prend. « Je viens
d’ailleurs de revisiter mon ancien collège, pas en tant
qu’étudiant, mais plutôt à l’occasion d’un séminaire que
j’ai organisé à l’intention de mes étudiants », dit-il. Un
témoignage d’appréciation qui l’a profondément touché.
Une
période d’exercice et de recherche s’ensuivit. Tantôt en
génétique, tantôt en biologie moléculaire ou encore en
génétique des populations, il enrichit ses travaux en
établissant un pont entre le Liban, les Etats-Unis et autres.
Directeur des recherches en génétique, chef de laboratoire
au Chronic care center à Hazmieh (banlieue de Beyrouth)
jusqu’en 2003. Puis à l’AUB, en tant que professeur-assistant
et ensuite professeur-associé en 2007. Finalement, il accède,
en septembre de la même année, à la vice-doyenneté de la
faculté de médecine de la LAU à Beyrouth. « Le système est
bon et sérieux », affirme-t-il, ajoutant : « Je suis ravi de
travailler avec des étudiants très enthousiastes mais
inquiets quant à leur avenir ».
Entre-temps,
les subventions et encouragements abondent. Il dirige des
recherches sur la génétique relatives au diabète. Il
présente également en 2002 une étude sur la prévalence de la
thalassémie au Liban. Et bien d’autres encore.
En 2006,
il devient le chercheur attitré de la National Geographic
society pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. The
Genographic project, une trace de la migration humaine à
l’extérieur de l’Afrique à travers le monde entier. Il y
travaille encore et son travail est commenté par le New York
Times et la chaîne spécialisée de National Geographic, la
BBC pour ne citer qu’eux. Mais comme nul n’est prophète en
son pays, le grand public libanais n’a fait sa connaissance
qu’à travers l’émission de Marcel Ghanem sur la LBC.
Zalloua
travaille au sein de la mère patrie, faisant la navette
entre le Liban et les Etats-Unis, étoffée de recherches dans
les principales universités des quatre coins du pays. Depuis
4 ans, il est à la recherche de nos racines, des siennes. «
Les Libanais sont-ils les descendants des Phéniciens ? »,
une question qui le préoccupe. Personne, jusque-là, n’a été
capable de donner une réponse catégorique. La seule
certitude scientifiquement confirmée est que les hommes de
la mer, grands navigateurs et commerçants, ont habité le
littoral méditerranéen, notamment les côtes libanaise,
syrienne, tunisienne, espagnole, maltaise et anatolienne.
Les Phéniciens ont, paraît-il, semé leurs gènes dans les
régions par lesquelles ils sont passés. Une fois terminée,
cette étude apportera aux Libanais la réponse à leurs
questions sur leurs origines. « Le caractère génétique
phénicien existe et je suis à sa recherche. Si je le
retrouve là où les Phéniciens ont vécu, je pourrai dire que
certains Libanais, toutes confessions confondues, sont bien
les descendants des Phéniciens », affirme le généticien.
Son
étude comprend plusieurs étapes. Les échantillons sont
composés exclusivement d’hommes, car outre la question du
chromosome sexuel, il faut dire que « ce sont les hommes qui
ont semé leurs gènes durant leurs voyages et en s’unissant
aux femmes là où ils se rendaient », argumente-t-il.
Pour
l’historien Hareth Boustany, l’étude génétique menée par
Zalloua « est essentiellement basée sur l’ADN ». Etant donné
que l’ADN représente le support du matériel héréditaire, un
avant-projet de loi rédigé, en 2007, visait à élaborer une
base de données destinée à centraliser les traces et
empreintes génétiques dans le cadre d’un fichier national.
Une première au Moyen-Orient et dans le monde entier. Une
commission interministérielle a été formée dans ce but,
regroupant des représentants du ministère de l’Intérieur
ainsi que le Dr Zalloua, représentant le ministère de la
Santé.
Comme
rien ne vient de rien, il s’acharne au travail pour
comprendre et connaître les origines des Libanais. Il
raconte que « les études montrent que l’homo sapiens, notre
ancêtre, vivait en Afrique il y a 130 000 ans de cela. Puis
entre 47 et 50 000 ans, nos ancêtres se sont déplacés de
l’Afrique pour s’installer au Moyen-Orient. Les changements
climatiques sévères les ont poussés de nouveau à se déplacer
en Afrique », dit-il. Le croissant fertile fut leur refuge
en raison d’un « maximum glacial ». Ceux qui sont restés au
Moyen-Orient sont devenus le peuple libanais. Et ce n’est
pas tout. « Il y a eu des mouvements migratoires de la
péninsule arabique, de l’Afrique du Nord, de l’Est comme du
Nord. D’où l’étiquette que porte le Liban en toute fierté :
melting-pot », souligne-t-il.
Donc, ce
mouvement de va-et-vient de l’Afrique et vers l’Afrique a
traversé le Liban et avec lui des dizaines de civilisations
ont laissé leurs traces, outre les peuples demeurés sur
place. Comment a-t-on pu déceler les traces des Phéniciens ?
« Ils ont procédé à faire une expansion maritime et colonisé
des endroits précis tout le long de la Méditerranée »,
répond le Dr Zalloua. « Raison pour laquelle on a pu les
suivre d’une manière précise et découvrir leurs traces
génétiques, là où ils étaient présents », précise-t-il.
C’est ainsi qu’un lien très étroit entre les colonies et la
terre mère, qui est le Liban, a été établi.
A la
question de savoir si ses origines étaient phéniciennes, le
généticien rétorque qu’il est plutôt d’origine perse. Il vit
actuellement un grand amour, son vrai bonheur : sa famille.
Son enfance était « riche et heureuse » au sein d’une
famille très unie. Sa sœur Paulette, l’aînée, professeur au
Collège des frères à Zghorta, est « l’adorable de la famille
», selon lui. « Je lui dois ma vie et mes réalisations,
grâce à son affection et soutien. C’est elle qui est restée
avec la famille, je lui dois tout », répète-t-il en toute
confiance. Paul, son frère ingénieur, vivait aux Etats-Unis.
Il est actuellement installé au Koweït avec sa femme. Et
lui, Pierre, le cadet, est marié avec Aline Naufal,
directrice de la Maison de l’artisan. « Elle me complète »,
assure-t-il. Présente et toujours aux petits soins de sa
famille, c’est « la femme idéale » à ses yeux. C’est elle
qui a réussi à le ramener au pays, mais aussi à lui donner
deux filles « adorables » : Yasha, 6 ans, et Pia, 4 ans. «
Quand je suis au Liban, c’est sacré : chaque soir, je leur
consacre une heure de temps à la lecture d’une histoire, à
chacune son histoire », avoue-t-il. Tout en confiant qu’il
essaie de limiter autant qu’il peut ses voyages à
l’étranger. Il profite du peu de temps libre dont il dispose
pour s’adonner à la lecture des livres d’histoire ou à la
peinture à l’huile ou encore à son meilleur loisir savoureux
: la cuisine. C’est un « cordon-bleu », affirme son
entourage. Quand il peut, il troque sa belle blouse blanche
contre un simple tablier de cuisine, donnant libre cours à
son imagination et à son sens gustatif. Son plat préféré ?
Les pâtes et pas n’importe lesquelles. Elles doivent être le
fruit de son travail et de son imagination. Eh bien oui,
elles doivent porter sa propre empreinte.
Le Liban
de ses rêves ? « Rayez l’individualisme du Libanais, vous
aurez un pays fort, un pays au vrai sens du terme »,
affirme-t-il. Et ses rêves vont également plus loin, à ses
travaux de recherche, s’étendant à un centre spécialisé en
génétique où, de retour au bercail, tous les jeunes libanais
pourront travailler. « Un centre d’envergure, tient-il à
préciser, où des centaines de Libanais, toutes confessions
confondues et vivant à l’étranger pourront revenir
travailler en toute fierté. Plus encore, il rêve de voir
régner sous tous les qualificatifs possibles, l’esprit
communautaire, collectif, collégial où la coopération serait
reine », dit-il avec le sourire éternel qui le caractérise.
Mireille Bouabjian