Bienvenue à la civilisation des talibans
Mohamed Salmawy
Il
n’est pas correct de dire que la danse orientale, telle que
nous l’avons connue au fil de l’Histoire, remonte à l’époque
des pharaons et de dire aussi que les bas-reliefs antiques
illustrent des danseuses portant la même tenue de danse que
celle que nous connaissons aujourd’hui.
Il n’est
pas vrai non plus de considérer la danse comme un art
raffiné qui est authentique pour nous et qui exprime
l’essence de notre peuple. Il serait faux de dire que la
danse est un art authentique hérité à travers les
générations des danseuses des bas-reliefs pharaoniques
jusqu’à Zouba Al-Kloubatiya, Bamba Kachar, Hekmat Fahmi,
Tahiya Carioca, Samia Gamal et Nagwa Fouad. Il serait erroné
au même titre d’avancer que le monde entier célèbre cet art
que nous avons exporté aux autres pays. Ce n’est pas vrai
non plus que cet art est à l’image de toutes les professions
qui atteignent les plus hauts degrés de sublimité
spirituelle, comme c’était le cas pour Farida Fahmy dans les
années 1960.
En même
temps, la danse peut également être un simple moyen de gagne-pain,
tel qu’elle est conçue par certaines danseuses de cabarets.
Raison pour laquelle je suis tout à fait d’accord avec ceux
qui appellent à interdire la danse orientale et
désapprouvent totalement qu’elle soit initiée dans des
écoles spécialisées. Ce, en partant du principe disant qu’il
vaut mieux éviter les désavantages qui en découlent.
D’autant que ce sont seuls les prostituées qui la pratiquent
pour reprendre le prétexte des tenants de cet avis. Nous
sommes d’ailleurs de l’avis disant que mieux vaut éviter le
mal que profiter des intérêts qui peuvent en découler. Et
puisqu’il y a une tranche de la société qui n’apprécie pas
la danse, mieux vaut l’interdire catégoriquement. Comme nous
avons été le seul pays au monde ayant décidé d’abattre les
porcs pour éviter l’éventuelle menace de la grippe porcine.
Au
même titre, nous devons interdire la danse pour éviter le
mal qui peut en découler. Il est vrai que le monde entier
est en train de se moquer de la décision de notre
gouvernement raisonnable relative à l’abattage de l’espèce
de porcs égyptiens, parce que cette mesure ne préviendrait
pas la maladie chez l’homme. Nous devons toutefois être
confiants en nous-mêmes et nous ne devons guère nous soucier
de ce que le monde pense de notre génie exceptionnel, qu’il
est loin de connaître.
Je
saisis ici l’occasion pour appeler à l’interdiction et à la
suppression de tout ce qui peut entraîner un mal quelconque.
A titre d’exemple, les instituteurs de chez nous frappent
les enfants dans quelques écoles. Ils portent atteinte à
leur mentalité et leur font du chantage pour les inciter à
prendre des leçons particulières. Pour appliquer la même
règle, il vaudrait alors mieux fermer les écoles pour
empêcher le mal et également les cinémas et les boîtes de
nuit.
La danse
ne peut pas exister sans musique. Il est vrai que le
prophète Mohamad, de qui l’on a transmis de nombreux hadiths
sur la musique, était sensible à l’art raffiné. A son entrée
à Médine, la musique et les chants étaient à son accueil,
mais il faut avouer que nous ne vivons pas à l’époque du
prophète. Nous vivons celle des talibans, qui ont interdit
effectivement la musique en Afghanistan, fermé les écoles de
filles et détruit certains monuments anciens que l’humanité
considère comme des merveilles du monde. Ils les ont
détruits parce qu’ils n’y ont vu qu’un symbole d’athéisme,
de mécréance et d’idolâtrie. Ces talibans n’ont vu dans la
musique qu’une source de débauche et de fornication, et dans
les écoles une source d’immoralité pour les filles. Pourquoi
donc n’agirons-nous pas de la même manière ?
Je suis
favorable à l’ouverture sur la pensée des talibans qui a
commencé à se propager avec une grande ampleur chez nous,
selon la règle qui préconise qu’il vaut mieux éviter le mal
que rechercher les intérêts. Cette mentalité a commencé à se
glisser dans nos esprits et nos mentalités. Non seulement
chez les adeptes de la pensée des talibans, parmi nos génies
de cheikhs, mais également dans tous les organismes de
l’Etat. Comme nous avons vu les adeptes de cette mentalité
appelant à interdire la danse pour éviter le mal qui peut
éventuellement y survenir. Nous avons également vu le
gouvernement tuer les porcs, pour contrer la menace de la
grippe porcine et avons trouvé la justice ordonner de fermer
une revue littérature à cause d’un seul poème.
Bienvenue donc à la société des talibans vers laquelle nous
nous dirigeons à pas rapides tous les jours un peu plus,
pour affirmer au monde que le pouvoir des talibans qui a
connu une chute en Afghanistan depuis plusieurs années, mais
qu’en Egypte, en revanche, nous sommes capables de le
ressusciter.
A partir
de cette Egypte, terre de la civilisation, de la culture et
de la pensée, berceau des religions monothéistes, cœur de
l’islam ayant donné naissance, de par sa croyance reposant
sur la tolérance et la pensée créative, à l’une des
illustres civilisations de l’humanité. Celle dont les
apports s’étendent des frontières de la Chine, à l’Est, vers
ceux de la France, en Occident. L’islam n’a pas donné
naissance à cette civilisation en détruisant les monuments,
en fermant les écoles, en interdisant la danse et la musique,
en licenciant les revues littéraires ou en tuant les porcs.
Cependant, ces mesures ingénieuses et innovatrices
d’aujourd’hui, elles, feront sa gloire et garantiraient
l’avancée de cette patrie et sa prospérité parmi toutes les
nations de la terre.