Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Il n’est jamais trop tard
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 Semaine du 4 au 10 février 2009, numéro 752

 

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Nulle part ailleurs

Insolite. A 70 ans, Fathi Moustapha est un cas particulier. Il est toujours étudiant à la faculté de médecine et un culturiste célèbre. Une vie privée ? Il n’en a pas eu. Toute son existence a été consacrée aux études et à la kinésithérapie, son seul gagne-pain. Portrait.

Il n’est jamais trop tard

L’amphithéâtre est plein à craquer. Les étudiants suivent attentivement l’explication de leur professeur. Difficile de les distinguer tant ils sont nombreux. Mais parmi la masse estudiantine, on ne peut ne pas remarquer la présence de cet étudiant aux cheveux grisonnants. Il est le plus ancien mais aussi le plus âgé des étudiants, non seulement de la faculté de médecine mais aussi de toutes les universités du monde. Il est connu par tous et sa réputation a dépassé les frontières. Il suffit uniquement de citer son nom à la cité universitaire pour qu’on vous parle de lui et de ses 42 années passées à la faculté de médecine. Il s’appelle Fathi Moustapha Abdou et ses camarades le surnomment le Dr Fathi, et parfois capitaine Fathi. Sa réussite à la moitié de ses modules en médecine a empêché son éviction de l’université. 38 promotions de médecins ont achevé leurs études et ont exercé leur profession et dix doyens sont passés par cette faculté et Fathi est toujours là, collé aux bancs de cette université. Fêtant son 70e anniversaire, il rêve cette année d’en finir avec les études et pouvoir enfin commencer sa vie et fonder une petite famille.

Chemin faisant, un sentiment étrange m’envahit. Je commence à me poser des questions sur cet étudiant très particulier : Pourquoi a-t-il passé autant d’années à la faculté ? Est–il vraiment un étudiant nul ou suit-il l’exemple de certains jeunes qui ont choisi l’université comme refuge et ajournent la fin de leur cursus car ils n’ont pas d’autres perspectives dans la vie ? Et comment les responsables l’ont-ils laissé tout ce temps ?

Fathi a rencontré beaucoup de difficultés avant de s’inscrire à la faculté de médecine. Tout d’abord, le pourcentage obtenu à l’examen du bac en 1952 ne lui permettait pas de suivre des études en médecine. Aussi, il est issu d’une famille pauvre composée de six personnes, et son père, un paysan, pouvait à peine subvenir à leurs besoins. Décidé à exaucer son rêve, Fathi fait son service militaire et repasse l’examen du bac à trois reprises pour obtenir enfin, en 1964, un résultat de 70 %, lui permettant de rejoindre la faculté de médecine. « Ma passion pour la médecine m’a permis de passer avec succès mes deux premières années d’études. Le problème a surgi en 1967 alors que j’étais en troisième année, je suis convoqué sous les drapeaux », dit-il. Hier prisonnier de guerre, aujourd’hui étudiant, sans pour autant que l’un n’arrive à effacer l’autre. Les deux fusionnent, et le résultat spontané est sans doute une expérience unique.

Avec une voix à la fois douce et amère et un regard sombre, Fathi plonge dans le passé. « Deux semaines avant la guerre, je suis rappelé comme officier de réserve à l’armée égyptienne. En ce temps, l’atmosphère laissait prévoir une victoire imminente. Les discours de Nasser, les chansons d’Oum Kalsoum et Abdel-Halim, tous l’affirmaient. Mais sur le front, ce sont les soldats eux-mêmes qui savaient la réalité des choses. On croyait qu’il s’agissait d’une simple démonstration visant à effrayer Israël et les Nations-Unies avant de rentrer chez nous sains et saufs ». Mais ce fut la défaite. L’armée israélienne a écrasé les soldats égyptiens, sans confrontation réelle. Fathi a eu de la chance. Il a réussi à éviter les missiles lancés sur sa position et a joué un rôle important dans cette guerre. Témoin oculaire de cette intervention, il n’a pas hésité à noter ses impressions après cette défaite et après la guerre de 1973, cet ancien combattant a rejoint sa faculté, mais avec un niveau d’intelligence différent. Autrement dit, il a oublié tout ce qu’il a étudié. « Dans l’année, je ne parvenais à réussir que dans une seule matière et ça s’est passé ainsi durant de longues années, jusqu’à ce je sois parvenu à la moitié de mes études. Depuis, les responsables de l’université m’ont autorisé à séjourner dans la cité universitaire », explique-t-il, tout en ajoutant que plusieurs de ses camarades possèdent aujourd’hui une grande renommée et que parmi les dix doyens qui sont passés par cette université, il porte énormément de respect aux Dr Hassan Al-Samra, Hassan Hamdi et Hachem Fouad. « C’étaient des érudits, des hommes très respectueux qui travaillaient sans relâche. Ils furent tous mes amis et dire qu’à mon âge, je suis encore un étudiant ! », dit-il non sans regret. Pourtant, Fathi lance un défi, celui de terminer ses études cette année avec brio.

 

Un étudiant pas comme les autres

Il est 6h pile. Fathi est déjà réveillé. Il est toujours le premier à se lever. Il s’empresse de rejoindre le stade de la cité universitaire. Rien ne l’effraie. Ni le froid, ni la fatigue, ni même l’âge ne l’empêchent de faire ses exercices physiques. En tenue de sport, il commence par se chauffer les muscles, fait un ou deux tours de piste avant de s’entraîner à quelques mouvements de gymnastique, puis il prend un moment de pause en s’exposant au soleil. Ses jeunes camarades l’envient pour son énergie débordante. Au premier contact, on n’a pas l’impression d’avoir affaire à un sportif. Son dos est légèrement courbé, son corps est chétif et il marche lentement à cause d’un pied qui le fait souffrir. L’âge a laissé ses empreintes. Mais la grande surprise est que le Dr Fathi a fait du culturisme et a même récolté plusieurs médailles, dont la dernière date de 2006, alors que ses années de gloire remontent à l’année 1969. « Un culturiste doit faire travailler sa masse musculaire pour la développer de façon apparente, il doit suivre aussi un régime calorique accru mais contrôlé. Un athlète comme moi doit donc effectuer un entraînement régulier et avoir une bonne alimentation », explique-t-il. Fathi porte les séquelles du temps passé. Des rides creusent son visage, témoins de longues années passées entre les murs de cette faculté, il continue pourtant à s’entraîner au culturisme. En fait, Fathi a droit à deux rations supplémentaires, pas seulement parce que c’est un sportif et qu’il a besoin de suivre un régime alimentaire spécial, mais aussi parce qu’il est traité différemment. A commencer par les responsables de la cité universitaire, les agents de sécurité, en passant par le personnel du restaurant, les professeurs ou même ses camarades, tous lui vouent un profond respect. « On ne peut rien lui refuser. Vu son âge et son ancienneté à la faculté, on le traite comme un diplômé et non pas comme un simple étudiant », souligne Maher Mansour, directeur de la cité universitaire, tout en rapportant que plusieurs professeurs ont proposé à Fathi de le faire réussir à condition d’être présent aux examens. Malheureusement, chaque année, Fathi arrête ses études pour un laps de temps et ce pour de multiples raisons. Et d’ajouter : « Selon le nouveau système, Fathi aurait pu être exclu de la faculté depuis bien longtemps ».

Et bien que Fathi ait reçu des réflexions désobligeantes vu sa présence parmi des étudiants plus jeunes que lui et avec une grande différence d’âge, il s’obstine à poursuivre ses études et ne perd pas espoir. Sa détermination demeure intacte. De plus, ses camarades le considèrent comme un père et ne cessent de s’abreuver de ses connaissances. Mohamad Maher, 20 ans, confie avoir entendu parler de lui dès son premier jour à la faculté. Il a voulu connaître son histoire et la raison pour laquelle il a passé ces longues années à la faculté de médecine. « C’est une perle rare vu sa patience, son optimisme, sa volonté d’acier et sa capacité de résistance qui lui permettent de supporter les situations difficiles. Il est aussi très cultivé, au point de sentir qu’il est une encyclopédie mobile. Tout nouveau livre ou document en chirurgie, vous pouvez le trouver chez lui », assure-t-il, tout en ajoutant que certains étudiants se servent parfois de Fathi pour avoir droit à une ration supplémentaire ou un cours particulier vu ses bonnes relations avec les différents professeurs. Mohamad confie que c’est bien grâce à ce vieil étudiant qu’il a apprécié le culturisme et a commencé à pratiquer ce sport.

Fathi, qui a passé de nombreuses années en compagnie de jeunes étudiants, pense que ces derniers ont subi un grand changement soit au niveau de l’apparence ou des mœurs. Lui, qui a vécu l’époque de la minijupe ou même du jean, a remarqué que les étudiants d’aujourd’hui sont devenus ignorants, indifférents, égoïstes et ne s’intéressent qu’aux apparences. « Adieu le bon vieux temps où les étudiants étaient passionnés de sciences et s’entraidaient les uns les autres. Fini de tels comportements avec ses camarades », dit Fathi, très nostalgique, en regrettant le discours religieux du cheikh Al-Ghazali, du cheikh Métoualli Al-Chaarawi, les réunions de l’Union socialiste ou le discours du président Gamal Abdel-Nasser que l’on écoutait à l’université.

Quant à sa vie privée, il n’en a pas eu. Tout son temps a été consacré aux études, au culturisme et à la kinésithérapie, son seul gagne-pain. Et quand on lui pose la question sur son célibat, il se remet au temps et au bon Dieu. « J’ai dû marier tout ce petit monde et je ne me suis pas rendu compte du temps qui passe. C’est la volonté de Dieu. Je me suis sacrifié pour les études et je ne le regrette nullement. Pourtant, j’espère pouvoir le faire. Il n’est jamais trop tard pour commencer ma vie. Heureusement, il ne me reste qu’une seule matière et je suis sûr que je vais réussir cette année et décrocher mon diplôme avec une bonne mention afin de m’occuper un peu à chercher ma seconde moitié », conclut Fathi avec cet optimisme que l’on ne retrouve pas chez les jeunes de vingt ans.

Chahinaz Gheith

 




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