Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | La misère en partage
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 13 au 19 août 2008, numéro 727

 

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Nulle part ailleurs

Social. Un sondage réalisé par le Centre national des recherches sociologiques et criminologiques sur les soucis des Egyptiens révèle que la pauvreté et ses différentes incidences sont au cœur de leurs préoccupations. Al-Ahram Hebdo a suivi les traces des chercheurs et a rencontré plusieurs exemples.

La misère en partage

Les visages sclérosés, les esprits préoccupés et égarés, tel est l’état de beaucoup d’Egyptiens au Caire ou dans tous les gouvernorats. Dans la rue Ahmad Helmi et précisément dans la zone de Ezbet Al-Ward, il faut passer par un portail étroit et traverser les rails de chemin de fer pour s’inviter dans le monde de ses habitants. Des citoyens qui vivent dans des conditions déplorables sans attirer l’attention de personne. Marginalisés, ils exposent un tas de problèmes en rencontrant n’importe quel étranger, dans l’espoir de les aider. Les préoccupations des gens de cette zone n’en finissent pas. De vieilles maisons sur le point de s’effondrer abritent des familles nombreuses et dont la vie est constamment en danger. Accablé de soucis, Samir, employé dans l’Organisme des transports, rétorque, les nerfs tendus, qu’il faut nous poser la question à l’envers : « Qu’est-ce qui ne nous préoccupe pas ? ». Et il veut l’avis d’un expert pour lui résoudre cette équation. Travaillant depuis 18 ans, il touche un salaire de 360 L.E. et a trois enfants à charge, dont deux souffrent de maladies chroniques. « Les prix ne cessent de grimper. La bonbonne de gaz coûte 7 L.E. Une bouteille d’huile pas moins de 10 L.E. Je rêve de pouvoir nourrir ma famille correctement et de pouvoir payer les frais de leurs médicaments. J’ai perdu tout espoir. Ça sert à quoi de rêver tant que nos rêves sont toujours brisés ? ».

Il pénètre dans l’appartement exigu qu’il occupe lui et sa famille, sort avec un paquet de journaux. « Je sacrifie une livre chaque jour de mon budget pour chercher une issue dans les journaux, mais je n’arrête pas de désespérer », dit Samir interrompu par le bruit assourdissant provoqué par le train. Son passage fait trembler les maisons de la région qui risquent de s’effondrer à tout moment. « Le passage du train qui sort de la gare d’Ahmad Helmi a causé la mort de plusieurs personnes dans notre région. En plus de la vétusté de nos maisons qui a coûté la vie à beaucoup d’entre eux ». Il cite l’exemple d’un enfant qui vient de mourir car il a reçu un toit sur la tête. Pauvreté oblige, ils continuent à s’abriter dans ces maisons qui manquent de sécurité. « Ce à quoi l’on aspire, c’est un niveau de vie décent », dit Samir. Quant à son voisin Mahmoud, 38 ans, il partage avec sa mère et ses 4 frères et sœurs une seule pièce et sa famille se partage la salle de bain avec les voisins. Mahmoud a un autre souci, mais toujours lié à la situation économique. Chômeur depuis une vingtaine d’années, il se demande quand il aura droit à un travail permanent pour pouvoir fonder un foyer.

Différents aspects de la crise économique sur lesquels un sondage fait par le Centre national des recherches sociologiques et criminologiques a mis l’accent. Une recherche qui a commencé depuis cinq ans et qui englobe 3 562 citoyens de 18 gouvernorats. Et les résultats qui viennent d’être publiés dans un rapport intitulé « Les soucis et les intérêts du citoyen égyptien » ont prouvé que les premières préoccupations des Egyptiens sont plutôt d’ordre économique. Pauvreté, flambée des prix, chômage, crise de logement, élévation de l’âge du mariage. 81,4 % ont mis l’accent sur de tels détails. Quant à la santé, les frais de l’éducation et le coût du mariage, ils constituent eux aussi une bonne partie des soucis des citoyens. Entre le budget de la nourriture, les frais de scolarité, le coût des médicaments et les trousseaux des filles, « nous ne savons plus où donner de la tête », dit Nadia Al-Sayed, femme de Sami Réfaat, matelassier qui essaye de se débrouiller pour arrondir les fins de mois. Ayant quatre enfants, Nadia est très préoccupée par leur avenir. « Ma fille May aurait aimé poursuivre ses études. Malheureusement, nous n’avions pas les moyens. Aujourd’hui, elle est fiancée. Que Dieu nous aide pour assumer les coûts de ce mariage », dit Nadia tout en espérant avoir assez d’argent pour que les autres enfants puissent continuer leurs études. « Les frais de scolarité ne cessent d’augmenter, en plus des leçons particulières, indispensables de nos jours. Comment pouvons-nous couvrir tous ces frais alors que mon mari ne travaille pas de façon régulière ? », se demande Nadia, les larmes aux yeux, tout en contemplant son enfant qui joue avec d’autres enfants au cerf-volant. Des enfants qui ne se rendent pas compte des soucis que se font leurs parents pour eux face à cet avenir instable.

56,3 % des personnes qui ont fait partie de ce sondage se sont plaints de l’augmentation des frais de scolarité et des cours particuliers, obligatoires face à un système éducatif qui présente beaucoup de carences.

 

La misère au rendez-vous

Du Caire à Guiza en passant par la Corniche du Nil, les soucis des citoyens sont toujours liés à la situation économique et au niveau de vie qui est en train de se détériorer dans beaucoup de familles. C’est au bord du Nil que beaucoup d’Egyptiens trouvent asile pour fuir la chaleur de l’été et les tracas au quotidien, comme s’ils voulaient lui verser un peu de leurs préoccupations. Sayed, originaire de Fayoum, explique qu’il est venu au Caire avec trois de ses sœurs pour oublier un laps de temps leur calvaire au quotidien dans leur gouvernorat. « Il fallait sortir de nos cimetières, le temps d’une journée, pour découvrir ce qui se passe dans le monde des vivants », dit Sayed, rongé lui et sa famille par les soucis. Chômeur, ayant 9 frères et sœurs, il dit ne pas rêver d’un appartement, d’une femme ou d’une voiture, mais tout simplement d’une vie normale dans une maison avec le minimum de commodités et un salaire qui peut le faire vivre. « Est-ce trop demander ? », lance-t-il tout en ajoutant qu’il vaut mieux arrêter de rêver, puisque ses rêves sont irréalisables. Il dit que lui et son père sont obligés de refuser des prétendants qui viennent demander la main de l’une de ses sœurs à cause du manque des moyens. Comment lui offrir un trousseau à des milliers de L.E. ? Même le mariage semble aujourd’hui être un rêve inaccessible pour beaucoup d’Egyptiens. Hayam, l’une de ses sœurs, dit qu’elle a dû laisser tomber ses études pour travailler 12 heures par jour dans une usine contre 350 L.E. par mois afin d’assumer les frais de son trousseau. « Il me faut au moins quatre ans de travail pour économiser le minimum et dans les milieux ruraux, les opportunités de mariage de la fille diminuent, arrivée à un certain âge », explique Hayam qui espère ne pas rater son mariage comme elle a raté la chance de poursuivre ses études. Azza, l’autre sœur, plus chanceuse d’avoir été mariée, a trois enfants, mais bien des soucis. Vivant dans un cimetière qu’il loue à 200 L.E. par mois, son mari n’a pour rêve que de trouver un trafiquant d’organes pour lui permettre de vendre son rein. « C’est le seul moyen pour permettre à ma famille de survivre dans ces conditions bien difficiles », dit-il. Des aspirations ou des droits élémentaires que les gens espèrent réaliser pour leurs enfants. Avoir du satr (juste de quoi vivre) et garantir leur avenir comme le dit Hélène qui a quatre enfants dont l’un d’eux est handicapé.

Du bord du Nil vers son cœur où se situe l’île de Dahab. Là, vivent plus de 11 000 familles qui cultivent la terre, élèvent du bétail et vendent du lait et de la viande. Des habitants qui ont aussi d’autres soucis. « En plus du prix des engrais qui a augmenté, les maisons sont en partie dépourvues d’eau et de drainage sanitaire », dit Salem, paysan qui passe son temps entre sa terre et son bétail. Ici, les gens sont marginalisés, il n’y a pas d’écoles, de dispensaires, pas même de centre de jeunesse. « Plus de 95 % des habitants de l’île sont analphabètes. Même si la jeune génération semble plus combative, beaucoup de mamans ont du mal à se lever à l’aube pour accompagner leurs enfants à l’école, soit à Guiza ou au Caire. Une traversée par bateau qu’elles doivent refaire en fin de journée pour les récupérer », explique Hassan Mohamad, en ajoutant que les responsables ne cessent de répéter que notre île est une réserve naturelle et qu’elle doit se transformer en un lieu touristique. « Ce sont plutôt les gens qui y vivent qui méritent qu’on leur rendre visite », ironise Hassan tout en expliquant que les paysans de l’île qui produisent des légumes et des fruits et aussi du lait rêvent du jour où ils seront traités comme des êtres humains : « Avoir le droit d’éduquer nos enfants et de soigner nos malades », dit Hassan en racontant l’histoire d’une femme habitant l’île, qui, prise par les douleurs, a mis au monde son bébé sur l’autre rive sans avoir eu le temps d’arriver à l’hôpital. « L’on court le risque d’être pris par un malaise et de quitter ce monde bêtement parce qu’il n’y a pas de dispensaire », se plaint Salem, un jeune qui passe tous ses après-midi à nager dans l’eau du Nil qui témoigne des dures conditions de vie des habitants de cette île.

Une île qui, malgré les difficultés, ouvre ses bras aux jeunes qui viennent des différents gouvernorats à la recherche d’un gagne-pain. Mahmoud n’a qu’un rêve, être accepté comme ghafir (agent de sécurité dans sa location). Il travaille au Caire et passe la nuit sous le pont, car il n’a pas où loger en attendant une autre chance de travail.

 

Des soucis, même à Zamalek ...

Du bord du Nil à Guiza à un autre bord à Zamalek, autres citoyens et autres soucis. Ici, le monde est différent. Dans un café sur la rue Aboul-Feda, les gens semblent vivre dans un autre monde. Cependant, un monde qui a aussi ses soucis et ses rêves. Walid, Chérif et Mohamad sont trois jeunes amis qui travaillent dans les secteurs bancaires et de l’informatique. Ils sont préoccupés par leur avenir professionnel. Walid pense qu’il faut déployer beaucoup d’efforts et forger ses compétences pour réaliser ses ambitions dans sa carrière, tandis que Mohamad pense que le piston semble être indispensable.

Chérif, qui a l’air pensif, dit, en tirant sur la pipe de son narguilé, qu’il est difficile aujourd’hui dans notre pays de monter son propre projet. Question de bureaucratie, mais aussi d’argent. « Il faut un grand budget et un piston pour réaliser mon rêve », dit-il.

Des jeunes qui pensent que les comportements des citoyens, la régression des mœurs dans notre société et le manque de planification sont des problèmes majeurs qui alourdissent le fardeau des Egyptiens.

La routine des bureaux gouvernementaux et la passivité des gens et les comportements anarchiques des gens ont figuré sur la liste des soucis notés dans le sondage.

Et même si le mariage préoccupe les jeunes de Zamalek, le problème est différent. « Certainement, nous avons des problèmes d’ordre financier chacun à son niveau, mais l’important est celui du choix qui est lié aux changements de la société », explique Walid en ajoutant qu’il est très difficile de trouver une fille de bonne famille, responsable, raisonnable et qui partage les mêmes aspirations. Il pense que beaucoup de filles de la nouvelle génération prennent aujourd’hui les choses à la légère et comprennent mal l’idée de l’égalité sociale.

Dans un autre coin, trois petites filles âgées entre 14 et 16 ans papotent, tout en fumant la chicha. Elles ne semblent se faire aucun soucis. Dina, étudiante et fan du chanteur Rami Ayache, explique que son rêve est de devenir journaliste pour rencontrer sa star préférée et pourquoi pas l’épouser. Fille d’un homme d’affaires, elle semble surprise par l’histoire de Dounia, 4 ans, venue lui mendier quelques sous pour pouvoir acheter de quoi manger pour ses sœurs. Par curiosité, Dina lui pose des questions sur sa vie. Dounia lui raconte qu’elle part quotidiennement avec sa mère, de Oussim, un village à Guiza, pour vendre des pacotilles. Elle a ajouté que son père est mort et qu’elle a six frères et sœurs et que sa mère tente à tout prix de les garder à l’école. Dounia, qui semble craindre pour son avenir malgré son petit âge, rêve d’aller elle aussi à l’école. Un droit qui semble bafoué par ses conditions de vie très difficiles. Sauf si les tracas de la famille de Dounia et leurs semblables attirent l’attention des responsables, sans attendre un autre sondage révélant des problèmes plus graves, plus alarmants.

Doaa Khalifa

 




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