Grève.
L’appel à la grève lancé sur Internet par des activistes
ralliés par le mouvement d’opposition Kéfaya et qui devait
avoir lieu le 4 mai n’a pas été suivi.
Désamorces
Tout
est calme au Caire en ce dimanche 4 mai. Rien ne montre
qu’un appel à la grève a été lancé ou que des marches de
protestation doivent avoir lieu. Seuls les quelques
véhicules de la sécurité centrale, déployés devant les
syndicats, sur la place Tahrir et devant les universités
indiquent le climat d’expectative qui règne dans les rues de
la ville. Devant le Syndicat des avocats, quelques personnes
se rassemblent. Ce sont des activistes du mouvement
d’opposition Kéfaya. Leur nombre : 10, peut-être 12 tout au
plus. Ils appellent les passants à participer à la grève
pour protester contre la hausse des prix et la détérioration
de la conjoncture économique, réclamer le départ du
président de la République et l’instauration d’un régime
démocratique. « Un président qui a 80 ans ne peut pas
gouverner un pays de 80 millions de citoyens. Faites la
grève pour protester contre la pauvreté, contre le chômage
et les mauvaises conditions de vie », lance l’un des
activistes à qui veut l’entendre. A quelques dizaines de
mètres du syndicat, c’est une autre scène qui se monte.
Devant un magasin de jus de fruits, plusieurs dizaines de
citoyens se bousculent. Mais ici, il n’est pas question de
grève. On est venu pour se désaltérer. « Pourquoi faire la
grève ? Si autant de gens achètent du jus de mangue et de
banane c’est qu’ils ont de l’argent. Il y a 20 ans, ils
n’avaient pas cette possibilité », lance le propriétaire du
magasin. Et d’ajouter : « Et puis tout le monde va avoir sa
prime de 30 %. Pourquoi faire la grève ? ».
L’appel à la grève a été lancé sur Internet par des
protagonistes du site Facebook ralliés par le mouvement
d’opposition Kéfaya et par la confrérie interdite mais
tolérée des Frères musulmans. Comme pour le 6 avril, les
Egyptiens étaient appelés à rester chez eux et à se vêtir en
noir en guise de protestation contre le régime. Mais
quelques jours après cet appel à la grève, le président
Moubarak annonce une augmentation-surprise de 30 % des
salaires pour les 5,5 millions de fonctionnaires de l’Etat.
Un moyen de couper l’herbe sous les pieds de l’opposition et
la nébuleuse de bloggueurs, qui avaient symboliquement prôné
la grève pour le 4 mai, jour d’anniversaire du président. La
stratégie a bien marché. Dans les universités, qui sont
habituellement des foyers de protestation, le calme régnait
et il n’était pas question de grève. Les professeurs, qui
protestaient déjà depuis quelque temps contre la médiocrité
de leurs salaires et leurs mauvaises conditions de travail,
n’ont pas quitté les salles de cours. Si elle avait eu lieu
en ce 4 mai, cette grève aurait fortement embarrassé l’Etat.
Il fallait donc la désamorcer à tout prix.
Outre cette prime sans précédent de 30 % accordée aux
employés, le président Moubarak s’est rendu dans un complexe
industriel de la banlieue du Caire, découpant un gâteau
d’anniversaire devant un parterre d’ouvriers, encadrés par
un solide service d’ordre. Histoire de prouver qu’il n’y a
pas de grève et que la vie suit son cours normal. Tout ceci
pendant que les félicitations et les vœux de bon
anniversaire au « raïs » pleuvaient dans la presse
officielle et que des dizaines de publicité, payées par des
hommes d’affaires, louaient le président. Si la grève du 6
avril, lancée également par les protagonistes du Facebook et
qui avait donné lieu à des accrochages entre manifestants et
forces de l’ordre dans la ville industrielle de Mahallah
(ayant fait 3 morts, des centaines de blessés et des
arrestations en série) a été un casse-tête pour les
autorités, l’Etat a semble-t-il bien retenu la leçon cette
fois-ci. En comparaison avec le 6 avril, la présence
policière dans les rues du Caire est plus discrète en ce 4
mai. Et aucune mise en garde n’a été adressée à la
population dans les journaux officiels contre la grève comme
la fois précédente (ce qui avait contribué à accentuer le
climat de tension). La seule intervention de la sécurité a
été de saisir les t-shirts noirs dans certains commerces
afin qu’ils ne soient pas portés par des activistes ou des
militants de Kéfaya. En ce 4 mai, la circulation est normale
dans les rues de la capitale. Les rues sont calmes. Devant
un kiosque à journaux sur la place Tahrir, des citoyens
affluent pour acheter les journaux. Personne ne parle de
grève. Et lorsqu’on demande à certains pourquoi ils n’y
participent pas, ils répondent qu’ils ne savent pas qu’un
appel à la grève a été lancé. « Je n’ai pas entendu parler
de grève », lance Hagga Mohsena, vendeuse de légumes dans le
quartier de Maarouf. Quant aux petits commerçants, ils sont
contre la grève qui influe négativement sur ceux qui n’ont
pas un salaire fixe et mensuel.
Si la grève du 4 mai n’a pas été suivie, c’est parce que l’Etat
est intervenu au moment opportun pour la désamorcer mais
peut-être aussi parce que cette grève n’est pas partie d’une
base ouvrière ou populaire réelle. Malgré tout, on se plaît
à penser que la culture de la protestation a déjà fait son
chemin dans la société. « Après le 6 avril, les gens ont
commencé à parler et après le 4 mai, les gens parleront
encore. Les appels à la grève ont au moins poussé le
gouvernement à agir et à augmenter les salaires », souligne
un activiste.
Ola
Hamdi
May Atta