Loi sur l’Enfance.
Le président Moubarak a approuvé la semaine dernière la
version finale de l’amendement de cette législation, qui
doit traiter une situation compliquée.
Combat difficile contre abus coutumiers
Une
nouvelle loi sur l’enfance est en passe d’être adoptée à
l’Assemblée du peuple, après avoir eu le feu vert de la
présidence. Cette nouvelle loi interdit la garde à vue des
enfants de la rue, fixe à 12 ans l’âge de la responsabilité
et fixe l’âge légal du mariage pour les filles à 18 ans et
celui du travail à 15 ans. Autre nouveauté, la nouvelle loi
incrimine l’excision, désormais passible de prison.
La loi en vigueur, qui avait été promulguée en 1996, suite à
la signature par l’Egypte de la Convention internationale
sur les droits de l’enfant, adoptée en 1990, est considérée
par certains spécialistes comme dépassée et ne convenant
plus aux réalités actuelles. « La nouvelle stratégie pour la
protection et de la réhabilitation des enfants de la rue,
lancée en mars 2003, a montré la nécessité d’une réforme de
la loi en vigueur », affirme la présidente du Conseil,
Mouchira Khattab. Durant quatre années, le Conseil s’était
donc attelé à la tâche d’élaborer une nouvelle législation,
avec notamment la participation du ministère de la Justice
et plusieurs ONG concernées.
L’interdiction de la mise en garde à vue des enfants de la
rue est l’un des principaux points qui feraient la nouveauté
de la nouvele loi. Les enfants délinquants seront donc
confiés à des maisons de réinsertion. « Le but de cet
amendement est la protection, la rééducation et la
réinsertion sociale des enfants de la rue. Ceux-ci ne
doivent pas être considérés comme des criminels, mais des
victimes qui ont été privées de leurs droits à l’éducation,
à la santé et à l’assistance sociale », souligne Hani Hilal,
directeur du Centre égyptien pour les droits de l’enfant.
Concernant l’amendement qui fait passer l’âge de la
responsabilité pénale de 7 à 12 ans, conformément au droit
international de l’enfance, Hilal considère que cette clause
comblerait une des lacunes juridiques dans la loi en vigueur
qui n’impose aucune pénalisation aux parents, alors que
souvent ils sont les premiers responsables. « Quand un
enfant vole pour manger, ce sont les parents qui seront
punis pour négligence. Les peines varieraient de trois mois
à un an de prison », explique-t-il.
Le dossier du travail des enfants a été également traité par
le nouveau texte. Celui-ci fixe l’âge légal du travail à 15
ans au lieu de 14 dans la loi en vigueur, alors que pour
l’apprentissage de divers métiers, l’âge passera de 12 à 13
ans.
Le projet de loi prévoit également un durcissement des
peines infligées aux parents ou aux employeurs réfractaires.
L’amende passera de 100 à 1 000 L.E. et sera doublée en cas
de récidive. Les clauses sur le travail des jeunes filles
comme femmes de ménage, jusqu’à présent non soumis à une
loi, fixent à 15 ans l’âge légal et la durée de travail
quotidien à 6 heures, tout en immunisant les filles en
question contre toutes atteintes physiques, psychologiques
ou morales de la part des membres de la famille. Autre
amendement, le projet de loi fixe l’âge minimal du mariage
de la fille à 18 ans au lieu de 16 actuellement, et oblige
les futurs conjoints à faire les examens médicaux
nécessaires.
La clause qui risquerait d’alimenter la polémique est celle
relative à l’incrimination de l’excision, une pratique très
répandue dans le pays et qui se fonde souvent sur des
croyances religieuses. En vertu de la nouvelle loi,
l’excision sera considérée comme une atteinte à l’intégrité
physique, passible d’une peine sérieuse. Un médecin qui
pratique l’excision encourt désormais la fermeture de son
cabinet ainsi qu’une peine de prison qui varie entre 3 et 5
ans. Quant aux parents, ils encourent une peine de prison
qui varie entre 1 et 3 ans. En cas de décès, l’amendement
prévoit de lourdes peines pouvant atteindre jusqu’à 15 ans
de prison.
L’adoption imminente de cette nouvelle loi est considérée
par certains comme un pas en avant. Reste à savoir si ce pas
est suffisant. « Nous avons besoin d’une campagne médiatique
pour sensibiliser les citoyens aux droits des enfants, mais
aussi pour les inviter à participer et à aider les
organismes concernés. Par exemple, un automobiliste qui
trouve un enfant travailler dans un garage est supposé
alerter les autorités », explique Essam Ali, responsable
d’une ONG de défense des droits de l’enfant. « Il faut aussi
parler aux enfants et leur apprendre de contacter eux-mêmes
les responsables pour se plaindre contre leurs abuseurs.
Hélas, ici on n’apprend pas à nos enfants de se défendre »,
ajoute-t-il. Le conseil a consacré une ligne téléphonique
SOS (le 16 000) pour recevoir les plaintes ou signaler les
cas des abus ou de maltraitance d’enfants. « Nous avons
besoin de motiver les gens et les enfants, de les
responsabiliser pour rendre la loi plus efficace », insiste
Ali.
D’autres spécialistes pensent qu’une loi, quelle qu’elle
soit, restera incapable de faire changer des pratiques bien
enracinées dans la société, et aggravées par
l’analphabétisme et la pauvreté. Pour Azza Korayem,
sociologue, l’amendement, tout comme la loi en vigueur,
prend en compte les conséquences et non pas les causes.
Selon elle, le travail des enfants, les enfants de la rue et
l’excision remontent à des problèmes socioéconomiques. « Les
peines imposées par l’amendement ne pourront pas changer
grand-chose tant qu’on n’offrira pas d’alternative aux
parents qui envoient leurs enfants au travail pour pouvoir
manger », souligne-t-elle.
Mais il n’y a pas que les facteurs économiques, parfois le
poids de la société se montre plus fort que la loi. C’est le
dilemme que risque de déclencher l’amendement relatif à
l’incrimination de l’excision. Le débat bat déjà son plein.
« Il est vrai que l’islam ne rend pas obligatoire
l’excision, mais il ne l’a pas interdit non plus. La preuve
en est que les femmes du prophète étaient excisées. Comment
donc incriminer une pratique que le prophète a autorisée ?
», s’indigne Akram Al-Chaer, député islamiste. Jusqu’ici,
les efforts déployés pour limiter cette pratique ne
réussissent souvent qu’à la rendre clandestine, augmentant
ainsi les risques pour les filles qui subissent cette
opération loin de la surveillance médicale. Bref, pour
certains, il ne s’agit pas uniquement de légiférer, mais
surtout de changer toute une culture, toute une mentalité.
Mirande Youssef